Étoile de Myrtille a écrit:

Elle avançait avec l'envie de plus en plus forte de reculer au fil qu'elle approchait du pas de la tanière d'Étoile Acharnée. Une sensation désagréable montait dans sa gorge, et elle sentait ses muscles se crisper, un besoin de plus en plus pressant de fuir. Elle ne voulait pas entrer là-dedans. C'était le foyer de son grand-père, c'était l'antre de ses démons, c'était là... qu'elle était née. La montée de son angoisse se faisait si omniprésente qu'elle oblitérait la sensation de Boule à ses côtés, elle devenait étrangère à elle-même, familière seulement de cette anxiété qui l'enserrait. Ses paroles émises dans un souffle la raccrochèrent à la réalité. La ramenèrent à cette sensation qui l'avait transportée à la Cénote. Elles y étaient.

- Tu as ce que tu voulais. Ou veux-tu plus encore ?

Les paroles de Chevêchette des Rocheuses figèrent instantanément le sang de Boule dans ses veines ; la jeune meneuse s'immobilisa, la sensation d'un courant électrique dans ses pattes la réveillant parfaitement alors que, la seconde d'avant encore, elle se sentait happée par le sommeil d'une patte de fer. Cette fois-ci, ce n'était plus possible d'éviter les yeux bruns de la guerrière : Boule tourna la tête pour les chercher et les harponner. Qu'est-ce qu'elle voulait dire ? Qu'est-ce qu'elle cherchait à dire, par là ? Il y avait comme un double sens dans les paroles de Chevêchette des Rocheuses qu'Etoile d'Argile n'était pas certaine d'interpréter correctement -et cette sensation était indescriptiblement désagréable. Est-ce qu'elle faisait référence à sa proposition de dormir ensemble ? Auquel cas, pourquoi l'avoir accompagné si ce désir n'était pas partagé ? L'émotion suscitée par cette formulation des choses picotait l'échine de Boule qui se sentit, sous la fatigue, poussée à des élans d'agressivité et d'impulsivité -cela ne lui ressemblait pas. En temps normal, rien ne lui échappait d'incontrôlé. Même quand elle regardait Chevêchette des Rocheuses avec intensité, c'était parce qu'elle permettait à son amie de voir ce qu'elle lui inspirait.
Mais pourquoi ce revirement d'attitude ? Elle avait l'air de le vouloir aussi.
A cette pensée, perdue dans les prunelles de sa camarade, Etoile d'Argile eut le pressentiment qu'elle ne parlait pas de cette nuit en parlant de "ce qu'elle voulait". Etait-ce un soudain écho à leur périple ensemble à la Cénote durant lequel elles avaient plongé dans la tête l'une de l'autre ? Elles n'avaient pas vraiment eu l'occasion de se reparler depuis lors... alors peut-être que la question de Chevêchette des Rocheuses visait cela précisément. L'ambition qu'elle aurait senti dans l'esprit de Boule ?

"Je ne sais pas, finit-elle par articuler prudemment, son regard allant d'un œil à l'autre de son amie, tout son être sensible aux inspirations et expirations de celle-ci tandis qu'elles murmuraient avec leurs truffes si proches. Cela dépend de ce dont tu parles, mais je crois que j'ai eu ce que je voulais mais que je ne dirais pas non à un peu plus encore."

Chevêchette des Rocheuses avait les iris qui se perdaient comme l'écho sur les parois rocheuses de l'antre qui avait été celle de son grand-père et précédent chef. Etoile d'Argile sentait son trouble aussi nettement que si elles avaient partagé, en pénétrant cette cavité de pierre, le même songe que celui qui les avait unies à la Cénote. C'était comme un filet d'eau dont le murmure était discordant, comme s'il fuitait de son lit atemporel. Mais Etoile Acharnée n'était plus là : s'il était le souvenir qui troublait son amie, alors Boule aurait aimé le lui souffler à l'intérieur de sa tête brune. Sans répondre à la question que Chevêchette des Rocheuses avait posé avant de laisser ses yeux papillonner dans l'antre à la recherche d'un fantôme réprobateur, la jeune chatte blanche et rousse se rapprocha de la guerrière et se pressa contre elle, savourant dans un frisson électrique la chaleur de son contact. Elle ne chercha pas à rester à la surface, en la caressant de sa fourrure : elle laissa peser son poids contre la carrure élancée de sa camarade, plongeant complètement entre les volutes de son odeur naturelle.

"Il n'y a personne d'autre que nous, ici, murmura t-elle en glissant contre Chevêchette des Rocheuses pour la dépasser un peu et tourner son visage vers le sien. On pourrait s'allonger ici comme à la Cénote et partager cette grotte sans que personne ne puisse y dire quoi que ce soit."

Leurs yeux étaient si proches... Le souffle de Boule s'était raréfié -ou bien avait-il accéléré et le retenait-elle dans sa gorge pour ne pas haleter ? Elle avait l'impression d'une boule nouée dans le fond de sa gueule, pénible, logée là d'appréhension. C'étaient des avances : elle le savait, elle le sentait sans savoir pourquoi est-ce qu'elles en étaient arrivées là et en redoutant un peu ce tumulte que lui faisait ressentir Chevêchette des Rocheuses en étant juste à côté d'elle.

"Plus... Ce serait que tu restes là ce soir et reviennes tous ceux où tu le souhaiteras, Chevêchette des Rocheuses."