L'espoir s'éteint comme une fleur quand l'hiver vient. Sous la lueur du soir, Golem Polaire sombra dans les abimes qu'il avait toujours fui, celle de la noirceur et du vice, acceptant finalement que le sang de son père coule dans ses veines. Au bord des larmes, il tenta de se défendre, de refuser qu'on ne lui arrache la place qu'il n'avait jamais vraiment réussi à gagner, il se perdit dans sa colère, il se sentait impuissant, ça se voyait. Tu ne pouvais t'empêcher de te dire qu'un chat coupable n'aurait pas agi comme ça, et puis, il dévia. Le mâle déchu avoua la guerre interne qui l'occupait depuis toujours, ses tentatives de ne pas ressembler à celui qui avait terrorisé le clan de la nuit, en vain. Les mots qui s'échappaient de sa bouche ne lui ressemblaient pas, et étaient pourtant les siens, il hurla qu'il aurait voulu être les griffes se plantant dans la chaire d'Étoile du Phoenix, et se fut fini, tu ne réussis plus à le croire bon. Ça n'était pas sa faute, au fond, il n'était que la triste victime de sa naissance. Un air aussi froid que la neige s'installa sur son visage, tu étais déçue de lui, et la peine que tu ressentais pour lui s'éteint presque, son destin était scellé maintenant.

Mais ton calme ne dura pas longtemps, car les griffes sorties, Golem Polaire se tourna. Il se tourna et les yeux d'émeraude rencontrèrent ceux de sang, sans que personne ne puisse comprendre si c'était des éclairs ou des au revoir qu'ils se lançaient. Et puis, d'un coup, le temps sembla s'immobiliser, ou du moins, presque. Sa première patte se souleva, passa une minute éternelle dans l'air, et retomba, faisant claquer ses griffes sur la roche, et une deuxième la suivie. Ton corps se figea, tu auras voulu bondir à son cou, t'interposer entre les deux, l'empêcher de tuer ton compagnon, lui dire qu'il n'était pas trop tard, que s'il affirmait ne pas un régicide, il ne fallait pas en devenir un aujourd'hui, mais tu ne pouvais rien faire, tu n'arrivais pas à bouger, tu étais trop loin, trop en retrait, le temps d'arriver jusque là-bas, il serait trop tard. Il ne pouvait pas mourir, pas aujourd'hui, pas demain, jamais. Tu l'aimais trop pour le perdre un jour.

- Kinkajou Carmin... ces mots sortirent comme un murmure, presque inaudible, un nom ancien, un nom dont tu étais tombée amoureuse, un nom que tu chérissais, un nom que tu n'oublierais jamais. Seule Linnée Boréale sembla entendre, mais elle n'eut pas le temps de dire quoique ce soit.

Trois chats bondirent, trois guerriers, trois enfants, trois protecteurs, trois meurtris. Alors que le détestable Abysse du Dragon enfonçait ses griffes dans la chaire d'un Golem Polaire tout déboussolé, Neige Sibylline et Griffe d'Ardoise se mêlèrent à la cohue, et puis, soudain, plus rien.

Le corps encore chaud du fils maudit tomba exactement à l'endroit où reposait celui d'Étoile du Phoenix quelques jours auparavant, ironie du sort peut-être. Le choc du guerrier sur la pierre résonna dans un bruit sourd, on entendit ses os se briser, alors que sa tête inerte penchait sur le côté, ses yeux éteints regardaient un ciel auquel il n'aurait peut-être pas le droit. Une flaque de sang visqueux s'étala progressivement autour du cadavre, Golem Polaire n'était plus.

Un cri retentit dans la clairière, et pour la première fois peut-être, tu ressentis une grande compassion pour Lueur d'Obscurité qui avait déjà tant perdu. Comme toute mère, elle pleurait son enfant, ses larmes salées se mêlaient au sang de son fils alors que des sanglots silencieux agitaient son corps. On sentait que toute la misère des cieux étaient tombé sur elle. Par réflexe, tes yeux se dirigèrent vers ton père et ta mère, qui quelques secondes auparavant, encerclaient un Golem Polaire bien vivant. Tu espérais que tu ne leurs ferais jamais vivre ça.

Puis, ton regard, hésitant, se tourna vers la corniche, sur laquelle trônait une famille détruite. Abysse du Dragon était collé à sa soeur, égarée. Leurs prunelles fixant leur meurtre, ils avaient sauvé Étoile Acharnée, tu leurs en étais reconnaissante, mais à quel prix ? Une vie en valait elle une autre ? Tu n'osais pas bouger, tu ne savais plus qui pleurer, et qui aimer.

OMBRE COLOSSALE

Puissance du Berserk et Couronne d’Orties étaient tous deux opposés l’un à l’autre, de sorte que leur regard convergeait vers un seul et même point : Golem Polaire. Le fils de Clarté Nocturne n’avait jamais beaucoup parlé à l’accusé. Certainement était-ce un tort qu’il regretterait à l’avenir. Peut-être comprendrait-il ainsi l’importance de connaître ses camarades. On ne s’en rendait compte que toujours trop tard, de toute manière. Il ne savait que dire, qui défendre. Toutes les preuves accablaient le guerrier tricolore. Les larmes aux yeux, Couronne d’Orties l’entendit se défendre. Il entendit ses mots et il comprit à quel point cet événement marquait la déchéance de toute une personne. L’effondrement de tout un monde, toute une vie. “J'ai renié cette part de moi pour que l'on m'accepte pour qui je suis.” Qui étaient-ils pour qu’un félin se brime de la sorte pour convenir à ce que tous attendaient ?
Tu fais la même chose, tous les jours, souffla cette voix familière d’un lui du passé. Un guerrier noir aux yeux sapin. Tu cherches à oublier l’ancien monde pour convenir au présent, mais tu le sens dans toutes les fibres de ton corps, que ce passé cachait quelque chose, une vérité. Elle t’échappe comme un papillon. Malingre sur tes pattes, tu t’effrondres, rampes devant eux pour leur plaire. Tu te forces à être faible, parce que tu as peur de ta force autant que tu as peur qu’elle effraie ceux que tu aimes.
Couronne d’Orties avait l’impression d’assister à son propre procès. Les plaintes de Golem Polaire résonnait en lui avec la force d’un tsunami. Il avait peur. Peur de la suite, peur de la fin. Ortie n’était pas en colère ni contre Kinkajou Carmin, ni contre Golem, ni contre Quetzal. Il avait peur de cette boule d’incompréhension qui grossisait dans le clan comme un orage prêt à éclater et tout ravager. Il ne comprenait pas non plus. Qui croire ? Que faire ? Tout pointait Golem mais il avait l’air si… sincère. A quel point était-il prêt à mentir pour sauver sa peau ?
Toi aussi, tu mens pour sauver ta peau. Tu as menti à Griffe d’Ardoise, à Linnée Boréale. Accepte la vérité ! Regarde la en face !
C’était ce pourquoi, obéissant à cet ordre interne, que Couronne d’Orties ne pouvait détacher son regard du procès. De ses prunelles bicolores dégoulinaient de la terreur glaciale. Il eut même un mouvement de recul lorsque Golem Polaire abandonna les armes. Dos au mur, il abandonna les armes.
Ne fais pas ça, ne fais pas ça… Tiens le coup, un jour, une nuit, une lune, plusieurs, des années, mais ne…
ne
sombre
pas.
Une grimace traversa le visage de Couronne d’Orties. Cette colère le mettait à fleur de peau. Son coeur battait trop vite. Il voulait fuir, mais ne pouvait pas.
Regarde ce qu’ils font aux menteurs ! Regarde ce qu’ils font au passé !
...
”Je suis le monstre, après tout.”
Des morceaux de Golem avaient chu à chacun de ses mots. A chaque vérité, il s’était lui-même arraché des pans de pelage, pour se dévoiler à nu, à sang, devant eux. Sauf qu’il s’était déconstruit dans la bataille. En procédant ainsi, il avait assuré sa défaite. Il s’était condamné.
Golem Polaire sauta devant le promontoire, dans l’optique d’attaquer Etoile Acharnée ? Deux ombres surgirent de la foule au même instant,
”Non !”
Impossible de dire s’il s’agissait d’une vaine tentative pour faire changer d’avis Golem, pour qu’il n’emprunte pas ce funeste sentier, ou pour retenir Neige Sibylinne et Abysse du Dragon. Un grand silence suivit le heurt mat du cadavre contre le sol, remplacé par le long râle d’agonie de Lueur d’Obscurité. Couronne d’Orties n’avait pas bougé, tétanisé. Il ne parvenait plus à réfléchir mais d’immenses larmes coulaient sur ses joues.
Pas parce que Golem Polaire était mort, pas parce qu’il avait trahi le clan une deuxième fois en deux jours, mais parce qu’Ortie avait assisté silencieusement à la destruction de tout un être. Et qu’il craignait d’être le prochain.
Fébrile, il parvint à faire un pas en arrière, puis un second, pour s’éloigner du cadavre. Il croisa les prunelles grises de Puissance du Berserk, qui secoua silencieusement la tête, impassible avant de se lever pour rejoindre Nuage de Louve.

Dire que Coeur de Violette, en rentrant au camp avec Quetzal en prisonnière, ne s'attendait pas à la suite des évènements est un euphémisme. Fière comme un paon d'avoir trouvé celle qui, à cause de ses actes, avait fait souffrir Ombre Colossale. Mais sa fierté serait de courte durée.

Elle avait été tétanisée face aux accusations sur Golem Polaire. Elle n'arrivait pas à croire que son frère, qui certes, ressemblait beaucoup à leur père, mais était loyal et droit, ait pu tuer Etoile du Phoenix. Mais alors que Morsure du Feu acquiesça, la stupeur de la guerrière se transforma en une rage pure, intense, violente.

"- Comment tu as pu ?!" Cracha-t-elle alors à son frère, qui était emmené dans une grotte pour être gardé en prisonnier, en attendant que sa sentence arrive.

Elle avait été présente avec les autres vétérans pour décider du sort des deux meurtriers. Elle avait voté pour le bannissement de son frère, et l'emprisonnement de Quetzal, en attendant qu'elle soit remise aux cœurs de renards du Zénith. Mais là encore, malgré la rage et l'incompréhension face aux actes ignobles de celui qu'elle considérait comme son frère, elle ne s'imaginait pas la suite de la journée.

Alors qu'il hurla, après s'être échappé de l'étreinte de ses garde, tout en montant le long du promontoire, elle était sidérée. Paralysée à la fois à cause de la rage, de la sidération, de la peur, de la tristesse. Ses yeux bleus sombres écarquillés, elle risqua un regard vers sa mère, et la vision qu'elle eut lui fit dresser les poils de terreur. Lueur d'Obscurité, cette chatte forte dont elle avait toujours voulu ressembler, ne semblait être plus que l'ombre d'elle-même. Les poils ébouriffés, ternes, les yeux larmoyants, mais à la fois si sombres et tristes. Rien n'allait, et Coeur de Violette pensa un instant que cette usurpatrice n'était pas sa mère.

Mais Golem Polaire n'avait pas fini. Son discours semblait être de plus en plus violent, douloureux. Et alors qu'il se rapprochait doucement de Etoile Acharnée, le regard fou, les griffes sorties, trois félins sautèrent sur lui.

"- NON !" Hurla Cœur de Violette, sans savoir pour qui elle criait cela.

Le corps de son frère tomba au ralenti, s'écrasant en bas du promontoire dans un vacarme silencieux. Puis, un cri déchirant retentit. Celui de Lueur d'Obscurité, qui était déjà auprès de son fils, le pleurant. Coeur de Violette était debout, elle ne savait pas depuis quand, mais elle l'était. Elle ne pouvait détacher son regard de cette scène.

"- Golem... Golem Polaire... Non..." Souffla-t-elle, son propre miaulement se perdant dans des sanglots inconsolables.

Elle s'approcha du corps sans vie de Golem Polaire, et enfonça son museau dans la fourrure d'Ombre Colossale, lui aussi près du corps. Peu après, Pelage de Nuit et Froid de Loup vinrent aussi, pleurant tous la descente aux enfers de leur frère, et sa mort brutale et sans raisons.

Il n'avait plus besoins de se cacher, maintenant que les trois monstres avaient été baptisés apprentis, ils étaient moins sur son dos, bien que toujours insupportable, alors enfin, du haut de ses cinq lunes, il commençait à réellement découvrir le camp et pas simplement les petites cachettes où il arrivait à se faufiler pour se cacher des triplets. Il aimait ce camp, surtout le promontoire qui le surplombait, cela donnait une atmosphère de grandeur.
Quelque fois, il se demandait comment c'était, dans l'Aube, là où étaient ses frères, mais il chassait cette idée bien vite, ses frères l'avait trahi, ils étaient partit.
Lorsqu'une voix résonna alors, le chaton sursauta en se tournant vers le meneur. Petite Crinière écarquilla alors les yeux, surpris et impressionné par le félin.

-Eum... Euh... Bon... Bonjour.