Petit Pygargue aimait la compagnie de Boule d'Argile, mais elle savait aussi que sa mère n'aimait pas les voir jouer ensemble. Elle ne comprenait pas vraiment toutes les raisons, mais elle faisait de son mieux pour être sage. Elle écouta avec attention la description de ce père dont elle avait tant entendu parlé, et sa fourrure se hérissa d'excitation, en pensant que c'était son père à elle, et à sa fratrie.

"- Je pense que Petite Salamandre deviendra aussi fort et intelligent que papa, moi !" Miaula la chatonne avec fierté. "Je pense même qu'il deviendra un grand chef ! Et je serai sa confidente !"

Quand la nuit tombait, presque suavement, sur la tribu qui en portait le nom, le temps s'apaisait. On oubliait la chaleur mordante du soleil qui se levait si tôt, son zénith carnassier et son coucher trop espéré. La température chutait brusquement et un air presque froid caressait le monde depuis la cime de montagnes jusqu'à rencontrer la bise salée de l'océan. De la journée, il ne restait que des souvenirs effacés, et alors que les cigales se mettaient à chanter plus bas, les chouettes des pinèdes s'envolaient, prête à arracher celles qui auraient pu servir de repas aux chats. Parfois, quand la dame lune scintillait dans son royaume de diamants insaisissables et qu'aucune boule de poussière n'osait la déranger, quelques lucioles s'autorisaient à rejoindre la valse des étoiles. Dans le camp, les ombres se glissaient d'une tanière à l'autre alors que leurs prunelles luisaient dans le noir, la vie s'éteignait lentement.

Assis à l'entrée de la pouponnière, tu profitais du vent qui agitait presque imperceptiblement tes petites moustaches blanches. Tu te tenais déjà comme un adulte, avec un air trop grave pour ton âge imprimé sur ton visage de cendre. Tu appréciais particulièrement la nuit, ce moment où le calme s'annonçait enfin et où les miaulements incessants s'arrêtaient, tu avais enfin l'opportunité d'être tranquille sans que l'on ne vienne t'agacer. La seule personne que tu tolérais s'était discrètement faufilée dans la tanière quelques minutes auparavant, et déjà depuis ton perchoir, tu entendais sa respiration s'apaiser pour laisser son esprit s'envoler dans des mondes qui n'étaient qu'à lui. Tu pris une grande inspiration, profitant de l'odeur d'été qui se glissait jusque dans ta petite truffe grise, quand on perturba ton silence.

Petite Salamandre aurait pu se ranger dans la catégorie des forts, de ceux que tu respectais et admirais, mais ses histoires infinies sur sa famille et ses désirs avaient fini par te lasser, il n'avait de fort que l'imagination, il se reposait sur ses ancêtres et oubliait d'être. Son apostrophe n'y manqua d'ailleurs pas, il te parlait de ton père comme si le nom du sien y résonnait. Toi, tu te fichais royalement de ton géniteur puisque tu ne l'avais de toutes façons pas connu, et qu'il était trop tard pour refaire le passé, le chaton grisé aurait mieux fait d'en faire de même. Les histoires de ceux qui avaient foulé les terres avant toi n'avaient rien d'important à tes yeux, les contes et légendes n'existaient déjà plus.

Lentement, tu plongeas tes yeux de glace et d'océan dans ceux de feu et de sang de ton interlocuteur, sans que ta mine grave ne défaille un instant. Sûrement tes paupières se rabattirent-elles plusieurs fois avant que tu prennes un air légèrement dédaigneux et que s'arque ton sourcil droit.

- Et le tien faible, apparemment. dis-tu d'un ton neutre et froid, avant de reprendre ton observation du camp, espérant qu'il ne continuerait pas cette conversation sans sens qui brisait ta paix.

"- C'est une jolie terre alors !" S'exclama Petit Pygargue, avant de répondre : "Un pygargue, c'est un grand oiseau qui mange des proies, et qui peut même emporter un chat !"

Puis, elle baissa la tête et la cacha entre ses pattes avant, avant de gémir :

"- Mais moi, ça me fait peur d'imaginer un pygargue. Je préfèrerai qu'on cherche de l'argile quand on sera apprenties. Mais je veux pas voir de pygargue."

Leur histoire commença dans une aube délavée par la nuit, alors que dans le ciel habillé de jolis nuages, quelques oiseaux glissaient avec le vent. Leurs camarades matinaux s'étaient à peine mis à chanter et les rayons de soleil ne perçaient pas encore la rosé, c'était une matinée douce. Les chats profitaient des dernières fraicheurs de la nuit, les premiers s'éveillaient alors que les derniers regagnaient leurs nids les muscles tiraillés. Une fine pluie s'était abattue sur les montagnes alors que tous dormaient, les flaques miroitantes et le bruit des dernières gouttes qui s'écrasaient contre le sol étaient les seules choses la trahissant, peut-être aussi son odeur accrochée au lichen et à la mousse encore humide. Il n'y avait aucun bruit, si ce n'était celui de la bise murmurante, ou du moins, c'est ce qu'on aurait pu croire.

Tes miaulements et feulements de douleur perturbait la paix, tu tentais d'être forte comme tu l'avais été tant de fois auparavant mais le bâton entre tes crocs ne suffisait pas à te faire taire. Tu étais couchée sur le flanc, haletante, ton pelage était collé à ta peau par la transpiration qui s'échappait de ton corps, même ta tête était allongée contre la roche froide et tu fixais la paroi en face de toi, refusant de partager ta détresse avec qui que ce soit. La guérisseuse t'encourageait mais tu n'entendais rien, tu avais demandé à ton compagnon de ne te rejoindre qu'après qu'ils soient nés, ne voulant pas qu'il te voit dans cet état et ne te considère plus comme la guerrière puissante que tu étais.

Quand le premier naquit, tu espéras que ta douleur se finirait vite, mais à chaque fois qu'un nouveau arrivait, il te semblait qu'un autre suivait. Ta tête tournait et le monde devant toi s'effaçait, tu les sentais s'agglutiner contre ton ventre chaud alors que tu priais le clan de étoiles de mettre fin à ton supplice. Et finalement, on te félicitas. Tu lapas quelques fois l'eau qu'on te présenta, avant d'utiliser tes dernières forces pour regarder qui s'agitaient contre toi.

Ce que tu vis t'émerveillas sans que tu ne puisses expliquer pourquoi, une vague d'amour infinie s'empara de toi quand tes yeux se posèrent sur les six petites boules de poils qui se battaient pour se nourrir de ton lait. À cet instant précis, tu compris que cette vie où tu priorisais certaines choses était terminée, désormais, c'était eux qui passeraient avant tout. Alors que tu te serrais un peu plus contre les nouveaux-nés, Étoile Acharnée pénétra finalement la pouponnière, tu lui adressas un sourire fatigué.

- Ils sont beaux, n'est-ce pas ? Ils feront de grands guerriers.

Il s'approcha un peu plus pour observer le fruit de votre union. L'un d'eux était son portrait craché, à l'exception du blanc qui venait taché son ventre et le contour de ses yeux encore fermés, et peut-être sa minuscule taille, il était tout frêle. Tu lui léchas le dos affectueusement avant de le nommer.

- Celui-ci se nommera Petite Révérence.

Celui à côté de lui semblait plus inspiré de toi, le gris de son pelage était le même que le tien, et il avait hérité de la couleur plus cendré qui te rayait, mais qui sur lui apparaissait en taches. Il bousculait le reste de sa fratrie sans gêne pour se nourrir aussi goulument qu'il le voulait.

- Toi, tu seras Petit Honneur, dis alors son père.

Ton compagnon et toi étiez bien d'accord sur les noms que vos enfants porteraient, ils devaient résonner le respect pour qu'ils deviennent un jour de grands guerriers. Une des deux seules femelles avait déjà fini son repas et s'était endormie contre l'autre, roulée en boule, elle ronflait déjà bruyamment. Se glissant par dessus elle, le mâle noir la rejoint dans son sommeil.

- Petite Vaillance sera la petite fauve, et lui, Petit Dévouement, ajouta Étoile Acharnée.

Il n'en restait qu'une, et soudain, une idée te traversa l'esprit.

- Elle sera Petite Tendresse...

Tu ne le regardas pas mais tu sentis son regard étonné, mais pourtant, il te semblait important que l'un d'eux rappelle que derrière vos valeurs, vos caractères, votre dévouement au clan, l'amour était né et c'était ainsi qu'il leur avait offert une place dans ce monde.

Petit Pygargue ronronna bruyamment quand sa mère lui asséna un coup de langue sur son crâne. Heureuse que sa vocation soit aussi approuvée par Neige Sibylline, la chatonne se colla contre la fourrure de sa mère. Très bientôt, elle rendrait sa mère fière d'elle, et son père aussi.

(Fin ?)

Echo des Cendres de Louve a écrit:

@Reflet d'Âme


Face à l'inquiétude de Petit Pygargue, Boule d'Argile se colla contre elle sans réfléchir, ronronnant pour rassurer son amie -à moitié amusée, à moitié compatissante. C'était vrai que l'image d'un grand oiseau de proie était effrayante -les ancien.ne.s prenaient d'ailleurs un malin plaisir à rappeler aux chatons les différents grands prédateurs que les terres du Clan de la Nuit étaient susceptibles d'abriter, et entre les grands fauves, les renards, blaireaux et grands oiseaux, la petite chatte bicolore devait bien admettre qu'elle enviait les aptitudes physiques déjà épatantes de ses deux frères.

"On nous apprendra à chasser les pygargues quand on sera apprenties, ne t'inquiète pas, fit-elle en léchant l'oreille du chaton au nom de l'oiseau. Comme ça, plus aucun rapace ne nous fera peur quand on ira chercher de l'argile dans le sol !"

Boule conclut avec un grand sourire réconfortant, songeant en son for qu'elle appréciait beaucoup ce rôle de protectrice qu'elle n'avait pas l'habitude d'endosser. N'était-ce pas, après tout, la vocation des guerriers et des guerrières ? N'était-ce pas en protégeant les sien.ne.s que l'on se démarquait de nobles qualités et devenait lieutenant.e ? Et au fond de ses yeux bruns, à cette pensée, une petite lueur tangua.

(Est-ce que tu veux qu'on le conclue et comme ça on en relance un maintenant qu'elles sont apprenties ? :3 Elles pourraient aller chercher des plantes dans les montagnes et tomber sur un pygargue ? Mwahaha)

(ça me va eheh ! :3)

Dans les prémices déguisées en été indien de l'automne, les coeurs des chats étaient lourds. On retrouvait des cadavres proches de la mer et l'espoir que les disparus reviendraient un jour en vie avaient définitivement été effacé. Comme tout le clan, tu faisais le deuil de tes camarades, mais aussi celui de ta famille. Ton père, ta mère et ta soeur avaient tous rendus leur dernier souffle dans la catastrophe, à chaque minute tu regrettais le fait qu'ils ne connaitraient jamais vraiment tes enfants. Pourtant, il te fallait être forte pour ton clan affaibli, il fallait garder la tête haut, aider à enterrer les dépouilles, t'occuper de tes petits sans disparaitre dans la pouponnière pour autant, participer aux patrouilles, surmonter tout cela.

Ce jour là, Nuage de Louve avait encore ramené un chat que tu avais connu depuis son plus jeune âge et que tu avais parfois même entrainé et ton coeur s'était serré. La soeur de ton ancien apprenti avait finalement disparu pour le Zénith et tous - ou presque - avaient songé qu'il était bon que cette minette qui semblait progressivement se laisser gagner par la folie quitte vos rangs. Le cadavre de Coeur de Lion rejoint celui des autres qu'on allait veiller ce soir-là. C'est un minuscule miaulement que seule toi semblait avoir entendu qui te détacha de la funèbre activité.

Alors que tu t'approchais de la tanière de tes enfants, une odeur que tu haïssais plus que tout se glissa dans tes narines.

Non, pas ça. Tout, mais pas ça.

Affolée, tu te précipitas à l'entrée de la grotte et la tâche de sang sur le sol t'arracha un cri strident. La panique s'emparait de toi alors que tes petits pleuraient encore et encore, tu étais comme figée, tu ne pouvais pas bouger, tu ne savais que faire, ton coeur était brisé en un million de morceaux, l'air ne venait plus jusque dans tes poumons, le monde autour de toi devenait flou, tu n'entendais plus que le sang battre dans tes oreilles. Tu sentis l'odeur de ton compagnon et tout ce que tu pus arracher, fut un murmure désolé.

- Petite Tendresse est...