On aurait pu dire que c'était un beau jour, un doux de printemps - qui d'ailleurs plus tard lui donnerait son second nom - où volaient les pétales roses des cerisiers, une des ces journées où les couleurs saturées s'éparpillaient de partout sur les terres, où la température était parfaite, ni trop chaude, ni trop froide, les rayons du soleil étaient alors comme des caresses sensuelles sur les pelages. On aurait pu, oui. Mais ce jour-là était aussi le début d'une histoire déchirée et douloureuse, déjà écrite mais encore interdite. Les prochaines lunes d'existence de notre protagoniste n'auraient rien avoir avec la douceur qu'offrait la saison des feuilles nouvelles, elle ne le savait pas encore, personne ne le savait.

Au début, ils étaient deux. Vous avez sûrement déjà constaté que les paires naquissent et s'éteignent ensemble partout autour de vous, on connait même des volatiles et insectes qui disparaissent quand l'aimé s'en va dans un autre monde. Ils sortirent donc du ventre de leur mère presque comme une seule et même personne, recroquevillés l'un contre l'autre, déjà inséparables avant même que d'exister. Leurs minuscules truffes étaient collées, s'offrant un amour formé dans la poche de sécurité, leurs pattes avants se rencontraient et s'entrelaçaient, ils ne voulaient pas se séparer. Même leurs queues avaient choisi de former un noeud, refusant l'éventualité qu'on les écarte.

Le premier souffle fût le même, et comme des choeurs chantants, le premier cri aussi. Les deux petites boules de poils s'éveillèrent à la vie exactement à la même seconde et rampèrent ensemble vers le ventre de leur génitrice sans même se concerter. Ils ne brisèrent pas le contact une seule fois, ils semblaient avoir besoin de l'autre pour réussir à survivre le début du temps. Même si leurs prunelles n'étaient pas encore dévoilées, ils savaient se regarder, ils ressentaient quelque chose qui les liraient pour l'éternité. L'amour fraternel qui avait tissé sa toile entre les deux chats était embrasant et passionnel, jamais il ne réussirait à s'éteindre.

Leurs deux noms s'inspiraient de l'heure ou l'âme de la nuit s'épanchait sur les vivants, là où le ciel qui s'était coloré de milles et une teintes embrasées se transformait vers une couleur plus douce, la métamorphose de l'or vers la violette s'opérait en silence, ou presque. C'était une heure à laquelle les ailes transparentes et fines des coléoptères battaient l'air dans un bourdonnement régulier, les hannetons suivaient la valse et cherchaient les nectars de sucre qu'offre la terre. Alors que le soleil avait déjà disparu dans la mer depuis quelques temps déjà, un air marin lourd mais agréable envahissait les plaines et les forêts. Ce nom était aussi un homme au coeur, celui de leur mère et de leur père, qui baignait dans un respect sans égales pour leur tribu. Il était déjà écrit qu'ils devraient devenir de grands guerriers, si seulement des noms suffisaient.

Petit Soir et Petit Déclin. Les jumeaux, dans cette grotte qui ignorait tout du monde, vécurent pour la première fois. Il y en avait un troisième d'ailleurs, celui-ci avait choisi un sein pâle plus éloigné que les deux complices, déjà, il s'écartait du danger. Petit Couchant piaillait et se collait à la mère, il avait besoin d'elle, il n'avait de deux, lui. Quand ils s'endormirent pour la première fois, ils le firent sans se quitter, effrayés que tout ne soit qu'un beau songe, ce qui deviendrait un jour vrai.

Rapace des Monts n'avait jamais assisté à une naissance. Oh, des cris de reine en plein travail, ça il en avait entendu, et à chaque fois son pelage se hérissait sur son dos. Mais là, c'était encore pire. Rien dans son entraînement de guerrier ne l'avait préparé à ça. Le pelage si hérissé qu'il avait doublé de volume, les griffes sorties et plantées profondément dans la terre, le grand guerrier avait plus l'impression de servir de figuration que d'être d'une quelconque aide. Voir sa compagne et amour se tordre de douleur le terrifiant. Il ne pouvait faire qu'une seule chose, essayer de la calmer, lui montrer qu'il était là, et toute la force de son amour pour elle. Il lui répétait à quel point elle était forte, et qu'elle se débrouillait bien, même si il n'en avait strictement aucune idée.

Puis, après ce qui lui avait semblé des lunes, des petits gémissements aigus s'invitèrent. Et l'un après l'autre, ce fut trois magnifiques chatons qui naquirent, dans un camaïeu de blanc, gris et noir.

- J'ai fait du beau boulot.

Le miaulement de sa compagne fit redresser le regard de Rapace des Monts. Il posa sa truffe contre celle de Fleur de Myrtille, avant de ronronner :

"- Tu fais toujours tout à la perfection, même nos chatons."

Son ronronnement était sonore et rauque, mais son pelage toujours hérissé sur son dos, cette fois ci à cause d'un profond bonheur. Rapace des Monts s'allongea et guida les petites boules de poil vers le ventre de Fleur de Myrtille.

Regarde Maman, comme ils sont beaux. Ton héritage restera toujours dans le crépuscule.

Pensa le guerrier en levant un instant les yeux vers le plafond de la pouponnière, où la lumière de la lune perçait à travers.


Avec Fleur de Myrtille

Rapace des Monts passait ses journées à la pouponnière depuis que ses chatons étaient nés. Chant des Eaux était aussi présente, et le guerrier avait eu tout le temps de parler longuement à sa sœur. Elle s'était enfin confiée à lui depuis la mort de leur mère, et le guerrier avait compris pourquoi elle était tant perturbée par cela. Il l'avait rassuré, du mieux qu'il pouvait, et Octave Chantant l'avait aidé. Quand ses chatons étaient éveillés, Rapace des Monts leur racontait des histoires. Plein d'histoires sur les anciens clans, sur leur famille, sur la migration, et sur le Clan des Etoiles. Il ne savait pas si les petits êtres pouvaient le comprendre, du haut de leurs quelques jours, mais Rapace des Monts continuait de leur miauler plein de choses. Après tout, c'était tout ce qu'il pouvait faire.

Alors que les chatons somnolaient contre le flanc de leur père, et que Rapace des Monts s'était autorisé à fermer les yeux, Fleur de Myrtille revint de sa patrouille. L'odeur alléchante du lapin qu'elle avait amené fit ouvrir les yeux du matou.

"- Très bien, aujourd'hui, je leur ai raconté la migration. Etoile Eveillée me la racontait souvent quand j'étais chaton. Ils vont être contents de te voir quand ils se réveilleront, je crois qu'ils auront faim."

Naissance des chatons de Chant des Eaux et Octave Chantant

Les contractions avaient commencé tôt ce matin-là. Chant des Eaux avait assisté à la naissance des petits de son frère quelques jours plus tôt. Elle avait vu Fleur de Myrtille avoir mal, mais elle ne pensait pas que c'était aussi douloureux. Elle avait déjà cassé trois bâtons que Fleur d'Argent lui avait mis dans la gueule, et les petits n'étaient toujours pas arrivés. Chant des Eaux perdait espoir, mais la présence de Octave Chantant, qui la rassurait et la couvrait de léchouilles l'aidait à tenir bon.

"- Mais comment tant de générations de reines ont fait ça encore et encore ?! C'est infernaal !" Feula Chant des Eaux, avant de feuler de douleur à nouveau.

Rapace des Monts était aussi présent, avec ses chatons dans un coin de la pouponnière. Son regard compréhensif et ses paroles encourageantes aidaient la future reine. Malgré le brouillard de la douleur et des hormones, Chant des Eaux était reconnaissante que son compagnon soit aussi présent, malgré la perte récente de sa sœur. Une contraction plus forte encore que les autres fit plonger les griffes de la reine dans le sol. Puis, l'un après l'autre, un concert de gémissements aigus vint compléter la cacophonie. Fleur d'Argent miaula enfin qu'ils étaient tous nés et en parfaite santé, et félicita la reine. Chant des Eaux tourna ses yeux vers quatre boules de poils. Octave Chantant était déjà penché sur eux, les yeux brillants de fierté et de bonheur.

"- Ils sont splendides." Ronronna le guerrier, si fort qu'il couvrit le bruit des chatons.

Le nouveau père aida les chatons à trouver le ventre de leur mère, et Chant des Eaux les regarda, incertaine. Est-ce que c'était vraiment ses chatons ? Elle venait vraiment de réussir cela ? Elle rapprocha son museau d'une petite femelle blanche tigrée de gris et de roux pâle, et aussitôt son cœur se mit à déborder de joie et d'amour. Bien évidemment qu'il s'agissait de ses chatons. Elle s'entreprit alors de les lécher, l'un après l'autre. Après un regard envers son compagnon, elle regarda la femelle blanche tigrée de gris et miaula :

"- Toi, tu seras Petite Lueur. Et toi... Oh, tu lui ressembles tellement..." Elle laissa sa phrase en suspens alors qu'elle regardait un mâle gris ardoise. "Tu seras Petite Veillée."

Octave Chantant ronronna pour confirmer les choix de sa compagne, et continua en regardant un mâle lui ressemblant énormément :

"- Lui s'appellera Petit Essor, et cette femelle blanche et grise... Ca sera Petite Orlaya."

Chant des Eaux hocha la tête. Chacun de leurs petits ressemblaient à leurs grands parents. Et leur nom leur faisait hommage. Enroulant sa queue avec celle de son compagnon, son regard fut attiré par un coin vide de la pouponnière. L'instant n'avait duré qu'une seconde, mais elle était certaine d'avoir vu plusieurs silhouettes étoilés regardant les chatons. Parmi elles, la reine en avait reconnu deux directement. L'une ressemblait à Geai des Chênes, et l'autre, grise sombre, avait de beaux yeux verts pénétrants.

Maman... Je me montrerai digne de ton sacrifice. Ces chatons seront de valeureux guerriers.

Les temps changeaient, la chaleur s'installait doucement sur le territoire, au plus grand bonheur du meneur. Il aimait la chaleur, courir à toute vitesse dans les landes sous le soleil réchauffant son pelage. Mais ce plaisir, il ne pouvait pas le prendre. Fleur d'Argent avait été clair, si il faisait de trop gros efforts, son coeur pourrait lâcher de nouveau. Personne ne comprenait pourquoi il était devenu si fragile, pas même lui, mais il se ménageait au mieux afin de pouvoir diriger son clan comme il le faisait depuis des lunes.
Rentrant d'un entraînement de chasse avec Nuage des Abîmes, le félin laissa l'étrange félin allée manger, quand à lui, il se dirigea vers la pouponnière. Deux de ses enfants avaient eu des enfants, et il essayait de passer du temps avec eux, apprendre à connaître ses petits enfants, lui qui avait été élevé par ses tantes, il avait vite apprit l'importance de la famille.
Entrant dans l'habitacle, il laissa un instant ses yeux s'habituer à l'obscurité avant d'apercevoir Rapace des Monts endormi prêt de ses petits, eux même endormi, et Chant des Eaux tout prêt, somnolante. Il était fier, fier de voir son fils et sa fille ainsi, endormi prêt de leurs enfants, paisible malgré les obstacles qu'ils avaient rencontré. Alors qu'il s'apprêtait à sortir pour laisser tout le monde dormir, un mouvement attira son attention et il reconnut immédiatement Petite Noisette. D'un signe de la queue, il invita la petite féline à le rejoindre sur le pas de pouponnière, afin de ne pas réveiller ses frères et soeurs ainsi que ses cousins.

-Salut toi, tu ne dors pas ?

Demanda-t-il alors d'une voix douce et basse.

Le félin ronronna légèrement.

-Très bien. Répondit-il dans un sourire. Tu as déjà un peu visiter le camp ? Comment tu le trouve ?

Petit Soir dormait paisiblement dans la pouponnière, elle était vide à cette heure-là. Son ombre était à nouveau aller se terrer chez les anciens, avide d'histoires saugrenues, Petit Déclin s'y rendait dès qu'il n'était pas avec sa soeur. Cette dernière se refusait à l'odeur et la sénilité des vieux, elle préférait se préparer encore et encore à son apprentissage qui se rapprochait doucement, trop lentement à son goût d'ailleurs. Un mouvement perturba son sommeil léger, quelqu'un venait de pénétrer la tanière sombre. Nuage d'Ajonc commença sa tâche sans constaté la petite au départ, il lui fallut quelques secondes pour s'apercevoir de la présence de la petite. Ravie qu'il l'invite à l'aider, elle se précipita vers lui.

- Oh oui ! Je préfère être avec toi qu'avec Petit Déclin et les anciens en plus.

"- Je veux bien." Ronronna-t-il, heureux à l'idée de partager un repas avec sa compagne. "Honnêtement, ça va, ils sont calmes à cet âge là, et ils dorment souvent, je peux me reposer entre deux histoires et attaques de ma queue."

Pouvoir voir ses chatons grandir était un privilège que Rapace des Monts n'aurait jamais pensé connaître. Il comprenait mieux pourquoi sa mère était si protectrice avec eux à présent. Rester si longtemps avec ses chatons lui avait fait penser à plusieurs fois qu'il ne voulait jamais les voir devenir guerriers et être blessés. Mais il avait ensuite réalisé que c'était un immense honneur de devenir guerrier et d'avoir des blessures au combat, et qu'il ne pouvait pas leur souhaiter mieux.

Étoile Acharnée a écrit:

Se reposer entre deux histoires et attaques de la queue… Fleur de Myrtille se pensait bien incapable de s'épanouir dans ce genre de vie, ce qui ne faisait qu'accroître le respect qu'elle ressentait à l'égard de sa grand-mère et tout ce qu'elle avait fait pour le Clan sans jamais avoir pu être guerrière. Et ce qui ne faisait qu'accroître son amour pour Rapace des Monts, reconnaissante qu'il lui ait épargné cette expérience.

- C'est sûr que ce sera une autre histoire quand il faudra les surveiller alors qu'ils courront dans tous les sens dans le camp. Heureusement qu'ils ne sont que deux !

"- C'est ça ! J'en profite, je me repose pour le moment où je devrais leur courir après ! Avec la chance que j'ai, ils seront même capables de me semer !"

Avec le temps, Rapace des Monts était devenu capable de plaisanter de sa patte manquante. Il espérait que ses deux chatons comprendraient et ne seront pas honteux d'avoir un père comme lui.

"- Ils ont déjà de sacrées techniques d'attaques sur ma pauvre queue, je ne donne pas cher de ma peau quand ils grandiront, et encore moins celle de leurs adversaires."


Avec Nuage Impie

Rapace des Monts somnolait quand il sentit l'odeur d'un jeune chat dans la pouponnière. Il tourna la tête pour voir Nuage Impie, qui lui proposa alors un rouge-gorge. L'apprenti était aussi particulier que son acolyte Nuage des Abîmes. A la seule différence, que Nuage Impie semblait mieux s'en sortir dans son apprentissage.

"- Merci beaucoup pour cette proie." Miaula le matou. "Veux-tu la partager avec moi ? Il est dodu et je suis sûre que Fleur de Myrtille viendra ce soir pour en partager une autre avec moi."

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Rapace des Monts ronronna d'amusement, alors qu'il retirait la plume du museau de Nuage Impie d'un mouvement de queue. Là où Nuage des Abîmes était étrangement effrayant, Nuage Impie ne lui faisait pas peur, et ne le rendait pas autant inconfortable.

"- Ton entrainement se passe comment dis moi ?" Demanda-t-il après avoir pris une bouchée.