NUAGE OMBRAGÉ

NUAGE OMBRAGÉ

Un dôme de nuages gris qui ne semblaient n'être qu'un tout se dessinait jusqu'aux confins de l'horizon, la température avait un peu rechuté ce jour-là, ça n'était pas inhabituelle au début de la saison des feuilles nouvelles. Pour agrémenté le froid printanier, des bourrasques de vent fort sifflaient dans la montagne et faisaient gronder les branches et feuillages. Certains oiseaux se laissaient porter par les tourbillons de vent alors que les rongeurs peinaient à marcher. Une odeur de pluie prochaine baignait l'air lourd ; les averses s'abattraient sûrement dans les jours à venir. Ces journées là étaient à double tranchant pour la chasse, soit le souffle de la Terre apportait aux narines des chasseurs les senteurs des proies, soit c'était l'inverse.

Pour toi et tes deux camarades, elle avait été bonne. Vous veniez de rentrer au camp avec plusieurs proies, quand tu décidas de t'accorder une pause dans la journée. Le sommeil commençait à revenir, alors tu ne peinais plus à te lever avec le soleil qui se cachait dans le ciel. Tu attrapas une petit souris et t'assis à côté de l'un de tes camarades de Clan, alors que vous discutiez de sujets assez fluets, un éclair de poils et de crocs entra dans l'enceinte de votre demeure. Nuage Glacé avait les yeux grands ouverts et tremblait d'effrois. Ses explications n'avaient aucun sens, mais tous avaient compris la gravité des propos. Ni une ni deux, comme le reste du Clan, tu t'approchas du meneur. Tous étaient pendus à ses lèvres, prêt à recevoir les ordres qu'il donnerait.

Tu ne tressaillas pas quand ton nom s'en échappa, tu hochas la tête avec gravité. Tu emboitas le pas au mâle gris perle aux côtés d'Abysse du Dragon, vos tentions n'avaient aucune importance, à cet instant précis vous étiez deux guerriers prêts à vous battre pour votre clan. Tu te dis que l'apprenti avait bien du courage de vous guider jusqu'au lieu, il devait être effrayé. En t'engageant dans l'entrée, ton regard croisa celui de Kinkajou Carmin et un frisson te parcouru l'échine ; celle qui était sa fille et ton amie d'enfance était là bas, dans la mêlée.

Tes poumons te brûlaient et tu sentais la salive se former dans ta bouche alors que vos pattes martelaient le sol comme des tambours de guerre. Il n'y avait pas de place pour la discussion en ce moment grave, et vous n'auriez physiquement pas pu de toutes façons. À ta gauche, le guerrier que tu n'aimais pas tenait la cadence suivi de Coeur de Violette et Monts et Merveille, devant toi, Étoile du Phoenix suivait l'aspirant et guidait ses combattants, à ta droite, le paysage défilait si vite que tu n'en discernais que des couleurs et des formes. Soudain, l'odeur se fit plus forte et Nuage Glacé ralenti.

Couronnes d'Orties avait le visage couvert de sang, il avait du être le premier à confronter l'animal. Il était plus petit qu'un ours mais plus grand qu'un renard, ses crocs jaunes frappaient dans l'air et ses énormes griffes passèrent à quelques centimètres seulement d'une Neige Sibylline haletante, sur son dos, Nuage Mordant plantait tout ce qu'elle avait dans la bête. Personne n'hésita, toi la première. Dans un feulement de rage, tu bondis sur le flanc du carcajou et le lasseras de toutes tes forces. Le contre-coup fut violent. La bête t'assena un puissant coup de patte qui te projeta quelques longueurs de queue plus loin.

Un sifflement sourd te coupa du reste du monde pendant un instant alors que l'air ne parvenait plus à entrer dans tes poumons. Ta vision s'était embrumée et une douleur vive te parcourait la patte. Une de tes griffes s'était arrachée et humidifia ton pelage de sang. Quand l'oxygène se fraya finalement un chemin dans ton corps, tu toussas avant de difficilement te redresser, prête à rattaquer.

La douleur brûlait tout son visage, toute sa mâchoire, tout son oeil. Couronne d'Orties ne voyait plus rien sinon un crépuscule vermeil. L'odeur de sang n'avait jamais autant imprégné son museau. Parce que c'est ledit museau qui saigne, tête de gland. Le guerrier haletait, ouvrait les yeux et les refermait, en se disant que, à un moment, peut-être le sang cesserait de couler comme la pluie au petit matin.
Sauf que ça ne fonctionnerait pas.
Il vit à peine Neige Sibylline se placer entre lui et le carcajou. Son champ de vision devint trouble. Eclat des Ombres se pressa contre son flanc. Ferme les yeux. Je vais te soigner. Soigner son sentiment de désespoir ? Sa peur ? Sa douleur ? Tu n'es pas en état de te battre. Oui. Elle avait raison. Alors Couronne d'Orties rouvrit son oeil valide et s'éloigna du combat, les pattes tremblantes, encore sous le choc.

Puissance du Berserk avait donné rendez-vous à Nuage de Louve à la futaie pentue pour s'entraîner. Elle devait l'y rejoindre après sa patrouille et le guerrier avait cherché Nuage Fauve pour l'inviter à leur session sans le trouver. A la place, ce fut Etoile Acharnée qui dénicha le vétéran brun. Il s'arrêta net dans son mouvement pour sortir du camp et leva les oreilles vers son meneur. A la fois soucieux et intrigué, l'ancien aubiste le rejoignit à la hâte. Qu'est-ce qui était si grave que son supérieur veuille s'adresser à lui en tête à tête ? L'entraînement de Nuage de Louve se passait pourtant bien et Puissance du Berserk n'avait pas entendu parler de nouvelles rixes aux frontières. Les tensions ne lui semblaient pas plus tendues qu'elles l'étaient déjà.

"Etoile Acharnée, fit-il en arrivant à son nouveau. Que se passe-t-il ?"