Nuage de Louve a écrit:

L’écume et l’averse

@Nuage Scindé

You think about our ending
I thought about when I met you tho

Des yeux pâles où inscrire des images neuves, des couleurs et des lumières. Des oreilles où fracasser le ressac de l’océan sur la roche. Des sens pour capter l’embrun, sentir et percevoir le vent, goûter à l’iode qui s’est déposé sur le bord de ses babines. Des forces déployées par une terre sauvage et forte, pour caresser à rebrousse-poils, à en décoiffer des principes et démonter l’eau de son socle mouvant.

Il pleuvait souvent une bruine collante et froide les jours de grand vent. Il pleuvait aussi du ciel des larmes tiédies par leur chute, réchauffée par la distance jusqu’au sol -à chaque instant amoindrie. Des milliers de vecteurs opérants à chaque souffle, orchestrant chaque battement de cœur, dépassant chaque miaulement pour réduire chacune de ces manifestations à des conséquences infimes, à des tressautements de ce qui opérait en continu : le râle de l’existence. Il n’y avait pas forcément besoin de sortir du Phare pour l’entendre, mais ses pattes de 2 lunes avaient assez de force pour le porter dehors, sur les premières dalles de roche polie par l’érosion des mouvements félins, marins ou venteux, et de là-bas, on se confrontait plus aisément à la puissance du Cri. Petite Pluie détestait être enfermé et s’il existait mille failles dans l’édifice vital de la Tribu, certains jours, voir la mer de plus près et goûter les gouttelettes salées projetées par les vagues, les voir se disperser en centaines d’éclats mouillés et les entendre s’écraser sur la roche… c’était mieux. Tout simplement mieux que de contempler ce spectacle d’en haut. Aujourd’hui était un temps à vivre, une météo à ressentir avec ses poils et ses vibrisses.

Ses yeux pâles, dans lesquels graver des images, des couleurs et des lumières, contemplaient l’immensité d’un monde méconnu et hostile, d’un monde en perpétuel mouvement et pourtant plus monotone en apparence que l’irrégularité des forêts et de leurs cimes vertes. Dans un excès horripilant de bienveillance, une chatte de la Tribu cru nécessaire d’avertir le chaton gris-blanc du mauvais temps et de lui partager ce qu’elle aurait fait, elle, à sa place, en restant au sec et au chaud dans les intestins du Phare. A quoi il avait répondu en crachant, la queue battante, et était sorti sous ses yeux médusés. Elle disait ça parce que c’était un chaton.

Mais le chaton était là, planté dehors, à observer la mer plus intensément que ses camarades terrés dans leurs prisons douillettes, à s’offrir au vent, à la pluie fine et aux gouttes d’eau de mer mêlées à la sueur des nuages. Et c’est là qu’il la reconnu, elle. Celle qui était arrivée au cours de la lune, avec son frère, portée par les flots et sauvée par un jeune membre de la Tribu. Un chaton au pelage dégoulinant de noir, aux yeux comme personne d’autre n’en possédait ici. Elle venait de là-bas, elle. Et sa froideur silencieuse était déjà agaçante. Elle était un peu plus loin sur les roches et le sillon minéral qu’empruntaient les zénithiens et les zénithiennes pour aller et venir entre les terres et leur demeure. Une vigie de pétrole, un albatros empêtré en lui-même, contemplant la même chose que lui avec d’autres yeux pâles et neufs. L’instant s’était rompu pour Petite Pluie puisqu’il n’était plus seul, alors il se leva et l’approcha.

« Toi aussi t’es toute mouillée et tu t’en fout ? »

Il l’apostropha comme ça, sans plus de forme et de politesse. Elle ressemblait à un petit ragondin maigrichon avec sa fourrure trempée collée aux os. J’espère que je ne ressemble pas à ça.

La mer était couleur boue ce jour-là. Les mouettes chahutaient entre les vagues déformées par le vent et la pluie, battant parfois leurs ailes blanches à la recherche d’équilibre. À chaque remous, chaque nouvelle onde arrachant l’oiseau à sa quiétude, son endurance se forgeait et nourrissait son esprit. Le rendait plus fort, plus robuste, semblable à une lame qu’il fallait aiguiser. Bizarrement, Petite Marée ne parvenait pas à détacher son regard des petites bêtes criardes. Elle observait les va-et-vient de l’eau, cherchant un quelconque rythme au sein des mouvements de la mer. Un rythme pouvant se suppléer au bourdonnement dans ses oreilles.
Comme un rappel incessant de sa rencontre avec l’océan, il était là, pressé derrière ses tympans. Là où autrefois se trouvait le silence, le bruit des vagues s’était installé, résonnant en elle telle une empreinte laissée par un voleur. Quelque chose lui avait été pris, entraîné par la mer au fin fond de ses profondeurs. Perdu à jamais.
Pourtant, elle, s’en était échappée vivante. Un miracle disait-on, cependant elle n’y croyait rien. La féline coula un regard jusque ses larges pattes couleur encre. Cette nuit-là, la mort avait effleuré son âme et le Clan des Étoiles - qui qu’il soit - ne l’avait pas sauvée. C’était la force de ses propres muscles qui l’avait emmenée jusqu’à la rive. Ces mêmes muscles qui languissaient à présent après la sensation de l’eau se déchaînant autour d’elle, débordant jusqu’à son menton, du courant se pressant contre son poitrail…

« Toi aussi t’es toute mouillée et tu t’en fout ? »

Petite Marée cligna un instant des yeux, ses cils chassant finalement l’eau qui menaçait de venir déborder sur ses prunelles violettes. Avisant ensuite le chaton à ses côtés, la féline reconnut sans mal l’une des boules de poils de la litière d’à côté. Il devait tout juste avoir deux lunes, son poil de chaton plaqué contre son corps rendant sa fourrure aussi luisante que la pierre dégoulinant de pluie. Son camarade portait sur lui l’odeur iodée de la mer, mais comme les nuages bleutés qui parsemaient son pelage, c’était la sensation de l’eau douce qui vint infuser ses pensées. La petite laissa son regard s’accrocher fermement à celui du jeune chat sauvage, dans un moment de flottement, le dévisageant sans la moindre gêne.
Je suppose que je suis aussi trempée que lui.

« Qu’est-ce que la pluie pourrait bien me faire. », lâcha-t-elle finalement, sans dévier son attention du chaton.

@Nuage de Louve

Ombre Colossale a écrit:

PETITE ÉCLIPSE

Depuis que la minette sombre était arrivée ici, elle avait passé la plupart de son temps seule, non loin de l'horizon qui lui semblait infini. Les mouvements répétitifs des vagues semblaient apaiser quelque peu son âme et ses intenses questionnements qui ne cessaient d'inonder ses pensées. D'où venaient-ils ? Pourquoi maman n'était plus là ? Que s'était-il passé ? Chaque vague qui venait lui lécher le bout des pattes donnait à Petite Eclipse ce sentiment de ne pas être à sa place. Sentiment aussi éphémère que l'écume venant s'échouer sur cette plage. Car ce fut en se détournant de ses ressentiments qu'elle se disait que la Tribu du Zénith les avait sauvé, ses frères et elle. Il n'avait jamais rien fait autre que de leur donner cette nouvelle vie. Pourtant, elle se devait de ne pas s'emporter ; tout n'était pas encore idéal, quelque chose clochait. Tout était... trop beau. Les chats ici étaient souriants, gentils, amusants... émotions dont Petite Eclipse était hermétique, et glissaient sur son épaisse caparace avant de retomber aussi sec dans le gouffre qui se tenait sous ses pattes. Même si elle ne comprenait pas vraiment l'humour, la bonne humeur ou les sourires emplis d'empathie, elle respectait cette Tribu et les chats qui la composaient.
Comme à son habitude, positionnée devant l'immense étendue d'eau en mouvement, une aura bien plus lumineuse qu'elle vint se frotter à elle. Ce contact l'électrisa et la petite chatte s'éloigna soigneusement :
- Qu'est ce que tu veux ? fit-elle de but en blanc, cependant sans agressivité, lançant un regard inexpressif sur lui.

Nuage de Louve a écrit:

L’écume et l’averse

@Nuage Scindé

Ses yeux ne se détournaient pas. Elle ne craignait pas de maintenir un contact visuel, de susciter par celui-là même une gêne ou un embarras commun, duquel était susceptible à son tour de découler, comme l’écoulement logique d’un ruisseau qui se fraie un chemin qu’importe l’environnement, un jugement, un a priori, un doute… Elle fixait, attentive, et semblait pénétrer bien en-dessous de la barrière protectrice du pelage. Les deux puits myosotis par lesquels la lumière s’absorbait et reflétait les couleurs, les images et les lumières creusaient un tunnel directement au cœur du regard de l’autre, comme pour accéder à ce qu’il y avait derrière, au sein de l’esprit lui-même. Petite Pluie n’avait pas peur : si elle cherchait à pénétrer son royaume mental, il lui souhaitait la bienvenue dans les cumulonimbus. A l’intérieur de son crâne, même la fille de la mer pourrait entendre gronder le tonnerre et craquer les éclairs.

Qu’est-ce que la pluie pourrait bien me faire.

Elle était cynique ; c’était même pas une question. Elle arracha un rictus au petit mâle blanc et gris. Elle avait survécu aux ballottements de l’océan, à la morsure potentiellement mortelle de l’eau de mer -on ne cessait d’en entendre parler quand on grandissait dans la Tribu : l’eau de la mer ou l’eau d’un lac ne vivaient pas les mêmes courants et ne puisaient pas l’énergie de la même intensité. L’étendue d’eau salée, aussi irrésistible que pouvait être son appel lors des temps chauds et calmes, était la plus trompeuse des illusions. Jamais ne cessait le ressac, jamais ne s’arrêtaient les courants, même à fleur de surface. Et elle, ainsi que son frère, elle avait survécu. Et elle y faisait clairement référence.

« Y a moins de courants quand l’eau vient du ciel, » railla le chaton en venant se tenir debout -il n’avait pas envie de s'asseoir-, à quelques longueurs de queue d’elle -c’est-à-dire à bonne distance.

Puisqu’elle l’avait dévisagé sans gêne, il fit de même, observant à quel point ses pattes étaient fines, même pour un chaton, et son visage anguleux. Tout, chez elle, semblait avoir été rompu par la mer. Là où celle-ci lissait les angles et polissait les arêtes, elle n’avait soit pas eu le temps d’adoucir Petite Marée, soit elle en avait rompu les courbes à trop la fracasser entre les vagues.

« T’as envie d’y retourner ou quoi ? »

Envie d’y retourner ? La femelle tiqua. Un spasme parcourut son museau puis son front, comme si un dard maquillé d’une goutte de pluie était venu se loger dans son derme. Les mots du chaton réveillèrent en elle un torrent de déferlantes faisant monter les eaux dans ses pensées, qui vinrent jusqu’à noyer le sang qui coulait dans ses veines. Oui, elle en brûlait d’y retourner. De dompter ces vagues ou d’y mourir. Mais comment pouvait-elle avouer quelque chose d’aussi absurde ? Le dire à voix haute lui paraissait bien trop ridicule. D’autant plus que son petit interlocuteur ne semblait qu’attendre de la voir déstabilisée.
Fronçant les vibrisses de ses yeux, Petite Marée soutint cependant le regard de la pâle boule de poils, s’efforçant de ne pas laisser transparaître le doute au fond de ses prunelles. Le rictus qui avait déformé ses traits le temps d’un instant se fondit finalement en un sourire pendant au coin de sa babine. Elle n’entrerait pas dans son jeu. Il pensait pouvoir mener la danse. Qu’il croie bien ce qu’il voulait. Comme la pluie qui s’abattait autour d’eux et qui lui donnait son nom, qu’est-ce qu’il pourrait bien lui faire. Il n’était qu’un simple chaton.

« Qui sait ? Et toi, c’est quoi ta raison pour venir te baigner sous la pluie. »