Etoile des Âmes était en colère contre le Clan du Crépuscule d'avoir volé une partie de leur territoire. Pourtant, il n'en voulait pas aux chatons qui, selon Etoile de Myrtille, en étaient le déclencheur. Et chacun de ses guerriers protégerait farouchement leur territoire, qu'importe les raisons. Une bataille était certes perdue, mais la guerre ne faisait que commencer. Et il devait savoir dans quel camp était Nuage de Cascade. Le baptême de ses petits était prévu, pourtant Etoile des Âmes rentra dans la pouponnière et s'assit devant le matou gris et roux.

"- Si tu avais été dans la situation de cette patrouille qui s'est faite attaquée par le Clan du Crépuscule, qu'aurais-tu fait ? Aurais-tu fuis ? Tu aurais combattu pour ton Clan d'adoption, ou ton Clan natal ?"

Son regard vert n'était pas doux et joyeux comme d'habitude, mais froid, calculateur. Il devait savoir la position du matou, pour prendre une décision.

Il fallait être honnête, Aurore n’était pas le chaton le plus facile à gérer. Elle avait un peu trop tendance à vouloir sortir tout le temps, pour explorer et découvrir. C’était un peu moins le cas depuis l’arrivée de nouveaux chatons, qu’elle voulait connaître. On l’avait même un peu réprimandée parce qu’elle était un peu trop pressante envers ces pauvres petites boules de poils.
Très récemment, la curiosité de la petite féline avait été triturée… Elle avait été tirée de son sommeil par une agitation inhabituelle dans le camp, et s’était donc directement dirigée vers la sortie de la pouponnière pour en savoir plus, mais la sortie lui avait été interdite. Elle avait grommelé, mais n’avait pas contourné cet ordre, acceptant de rester à l’intérieur. Mais refusant de ne pas essayer d’en savoir plus ! Elle avait donc tendu l’oreille, écoutant les discussions extérieures et récoltant petit à petit ses informations. Quelqu’un était mort dans le camp. Pire, quelqu’un avait été tué dans le camp, et aucune odeur ennemie n’avait été relevée. Donc un Aubiste avait tué un Aubiste… Ce n’était pas une situation dont elle pouvait réellement saisir l’importance et ce que ça pouvait impliquer, mais elle savait que c’était mal.

Un bruit attira son attention, la surprenant et la tirant de ses pensées. Un chat venait d’entrer dans la pouponnière, un chat qu’elle n’avait pas senti là jusqu’à ce moment, et qu’elle ne connaissait pas vraiment. Elle s’approcha doucement, appréciant cette compagnie qu’elle ne pouvait plus chercher en dehors des murs de la pouponnière. Elle se planta devant le matou aux beaux poils siamois.

- Salut !

Elle essaya une seconde de retenir le flot de questions qui lui passaient par la tête, mais finit par abandonner.

- Moi c’est Petite Aurore ! Comment tu t’appelles ? Pourquoi t’es là ? Il se passe quoi dehors ? Je peux t’aider à quelque chose ?

Sa queue battait au rythme de ses miaulements, ne quittant pas le regard bleu de son interlocuteur.

La chatonne trépignait d’impatience d’avoir des réponses à toutes ses questions, même si elle se doutait qu’elle n’en aurait pas forcément. Il fallait dire que si on lui interdisait de sortir, ce n’était pas pour lui exposer la situation par A plus B, en détails. Surtout que les détails avaient l’air tout sauf entendable pour des enfants. Mais elle avait quand même un espoir d’avoir ne serait-ce qu’une once d’informations supplémentaires.
Evidemment, Voile Ébène souffla cet espoir avant qu’il ne prenne trop d’ampleur, et Aurore souffla, dépitée, et se laissa tomber au sol. Elle avait presque envie de se rouler par terre en réclamant des réponses, mais l’air de son interlocuteur lui fit rapidement comprendre qu’elle n’arriverait pas à lui soutirer quoi que ce soit, alors elle expira une seconde fois avant de se redresser et de s’asseoir, observant l’autre chat.

- D’accord…

Elle faisait toujours une moue un peu dépitée, mais reprit vite du poil de la bête, secouant la tête pour enlever la poussière qui s’y était logée quand elle était au sol.

- J’espère que ça va aller mieux bientôt… Comme ça tout le monde redeviendra content !

Le temps panse les blessures… Pour être honnête, elle n’en savait rien. Elle n’avait pas encore assez eu de temps pour panser le vide que laissait en elle l’absence de sa famille. Elle le cachait derrière son sourire et son attitude enjouée, mais une teinte de tristesse pouvait parfois se voir alors qu’elle fixa le sol un instant avant de répondre.

- Oui, tu dois avoir raison.

Elle l’espérait, du plus profond de son cœur. Même pas pour elle en premier plan, mais pour le clan tout entier, qu’il retrouve des jours meilleurs, où l’ambiance ne serait plus à la défiance et la suspicion. Elle voulait retrouver le clan qu’elle n’avait que trop peu connu, mais qui emplissait en elle un vide qu’elle espérait un jour voir disparaître.
Comme si de rien était, elle reprit son air enjoué et jeta un regard vers son aîné.

- Je ferai mon possible pour aider le temps alors !

Quand Petite Aurore s’aperçut que Voile Ebène avait remarqué son rapide changement d’humeur, elle sut qu’il était trop tard pour revenir en arrière. Pourtant, elle ne voulait pas extérioriser tout ça, elle n’était pas sûre d’être prête à l’accepter aussi officiellement qu’en le prononçant à voix haute.
Une fois la surprise créée par la question de son aîné passée, la petite pencha légèrement la tête sur le côté en le regardant, son regard aussi enjoué que d’habitude.

- Je vais nettement mieux que beaucoup d’autres du clan, j’ai un toit, de la nourriture, des amis, donc pourquoi s’en faire ?

Elle fit un sourire et se mit à se lécher la patte pour la passer derrière son oreille, tranquillement. Elle savait bien que ça n’apaiserait pas les questions du félin, mais elle ne pouvait pas faire mieux, et nier de but en blanc aurait été encore pire.

Bien sûr que si… !

Petite Aurore s’était forcée à ne pas répondre ce qui lui brûlait la langue, et elle referma la bouche. Bien sûr que si ! Elle avait été acceptée dans le clan, hébergée, malgré les hésitations de leur chef quant à son arrivée. Elle n’avait pas le droit d’imposer ses maigres problèmes à ceux qui en faisaient déjà tant pour elle ! Ou plutôt, elle ne se donnait pas ce droit. Elle était peut-être trop jeune pour exprimer correctement ce qu’elle ressentait, mais elle était sûre d’une chose : elle voulait donner tout ce qu’elle pouvait au clan. Pas leur rajouter des problèmes. Ni se confirmer ses propres problèmes non plus…
Elle se contenta de l’observer une seconde, cherchant avec attention les mots qu’elle allait prononcer.

- Tu as raison, mais je ne veux pas être une petite qui se plaint. Je veux être un chat solide, sur qui ont peut compter, et qui donnera tout pour son clan.

Petite Aurore ne répondit pas tout de suite, se laissant le temps de réfléchir au point de vue de Voile Ebène. Il ne semblait pas d’accord avec le choix qu’elle faisait, et elle ne savait pas vraiment quoi en penser. C’était un félin adulte, il savait bien plus de choses qu’elle, avait fait plus d’expériences dans sa vie également, donc il était plus à même qu’elle de savoir les choses. Pourtant, elle ne voulait pas bêtement écouter ce que les autres disaient, après tout, elle était Petite Aurore, et non Voile Ebène !

- Donc, à ma place, tu te serais plaint ?

Elle lui lança un regard taquin.

- Qu’est-ce qui ne va pas dans ta vie Voile Ebène ? Dis-moi tout !

Elle s’étira, amusée, avant de reprendre, d’un air un peu plus sérieux.

- Je vais réfléchir à ce que tu m’as dit. Peut-être que je changerai d’avis !

Et avec tout ça, il tentait de la convaincre qu’elle pouvait se plaindre ? Elle l’avait écouté, attentivement, aussi attentivement qu’elle voudrait qu’on le fasse si un jour elle décidait de se confier, et une sensation se mit à grandir en elle. Ce n’était pas de la pitié, elle respectait trop les aubistes pour ça, ou plutôt si, mais pas dans sa description péjorative. Elle se mettait à la place de Voile Ebène, et se sentait mal de penser qu’il avait vécu tout ça. Si elle se plaignait, les autres ressentiraient-ils la même chose ? Ou penseraient-ils, comme elle, qu’elle n’avait pas de réelle raison de se plaindre ? Seul le temps et sa réflexion sur la question lui donneraient potentiellement une réponse, alors elle préféra éloigner son interrogation personnelle pour se concentrer sur son interlocuteur.

- Ça a pas dû être facile à vivre…

Et c'étaient de vraies raisons de se plaindre. Mais elle se garda bien de prononcer cette pensée à voix haute.

Si elle avait vécu des choses pas faciles… ? Honnêtement, elle ne le pensait pas. Enfin, c’était plutôt l’absence de vécu ou de ressenti qui se faisait sentir. Elle ne se souvenait que vaguement de son passé chez les bipèdes, mais elle se rappelait vaguement l’étreinte de sa mère, de la présence de ses frères et sœurs, et cette chaleur lui manquait un peu. Passés les premiers jours de son arrivée, les aubistes avaient fini par l’accepter, et elle s’était fait des amis, mais rien de semblable. Cependant, comme elle était bien sociable, elle avait réussi à combler un peu ce manque. Mais tout s’était empiré lorsque les chatons avaient été plus ou moins tenus éloignés des histoires du clan. Elle comprenait vaguement pourquoi, mais elle était maintenant plus seule que jamais.

- Pas vraiment, juste… Je me sens un peu seule, mais c’est juste parce que je peux plus trop sortir, et croiser plein de chats et tout… !

Passer tous les jours ? Petite Aurore trouverait ça génial ! Avoir un félin qui vient la voir souvent, avec qui elle pourrait discuter, lui permettrait clairement de se sentir moins seule ! Pourtant… Elle se demandait si Voile Ebène n’avait pas mieux à faire de ses journées que venir la voir, surtout avec les évènements actuels… Avait-elle le droit de se montrer si égoïste… ?
Mais le félin était adulte, il faisait ce qu’il voulait, donc s’il lui proposait de passer souvent, c’était qu’il pouvait le faire, non ? Que ce n’était pas dérangeant. Petite Aurore décida donc de laisser ses doutes de côté, se contentant d’un ronronnement ravi.


- Alors j’attendrai tes venues avec impatience !