Nuage Tacheté & Menace d'Orage

Menace d'Orage connaissait chaque buisson du territoire crépusculien, chaque terrier, chaque plaine. Il fut un temps, ces terres brûlées par le soleil étaient les siennes. Il les arpentait avec honte, le pelage hérissé, méfiant. Il sentait alors que ses pattes se posaient là où il n’y avait aucun sentier à son existence. Il avait cherché, pourtant, espéré même. Et puis il s’était rendu à l’évidence : ce territoire n’était pas le sien. Ses épaules étaient trop larges, il était trop fort, pas assez fin et rapide. Comme si… Comme s’il n’avait pas de sang crépusculien. Il avait obtenu la génétique totale de son père, se disait-il.
Il n’était pas chez lui. Il ne le serait jamais.
Cette vieille impression remonta le long de ses pattes alors qu’il traversait les landes d’Etoile de l’Aube. Elle lui collait comme de la boue nauséabonde, l’attirait vers le fond. Menace d’Orage prenait souvent de grandes inspirations, luttant contre les souvenirs, contre le malaise que générait le fait de repenser à son enfance. Qu’est-ce qu’il haïssait cette odeur. C’était ce pourquoi il longea la mer, pour ne profiter que de l’odeur iodée des algues et du mistral. Il refusa de lever les yeux vers les falaises plus haute. Il refusait de penser outre mesure à ce qu’il s’était passé non loin d’ici.
Mais qu’est-ce qu’il était difficile d’oublier les craintes, les blessures du coeur. Qu’est-ce qu’il est difficile de détourner le regard et de faire comme si ces vices n’avaient jamais été subi. Comme si Orage n’avait jamais été brisé.
La colère, sa très chère compagne, palpita dans son coeur. Il se remémora les paroles de Fureur des Erinyes, le départ de Vertige et de plusieurs guerriers, et un fin sourire satisfait agrémenta ses babines crispées. Peut-être pouvait-il trouver une certaine forme de satisfaction dans ces souvenirs, désormais. ça ne réparerait jamais rien, rien ne pouvait plus, mais… qui sait ? La peine serait moins grande, une fois tous les torts vengés.
Menace d’Orage était convaincu que ce poids perpétuel sur son coeur disparaitrait, sans se douter qu’il ne ferait que s’alourdir en ce jour funeste.
Le terrien monta en haut de la voute protégeant la cénote. Il s’y était déjà rendu avant son baptême, avant de prendre son nom, mais ce n’était pas pour rencontrer le clan des étoiles ou la forêt sombre qu’il s’y rendait aujourd’hui. Il n’avait qu’à se coucher dans sa tanière pour retrouver Fureur des Erinyes ou Nuage de Louve. Non, il devait parler à quelqu’un de bien réel, quelqu’un qui devait connaître sa mère.
Menace d’Orage avait mis plusieurs lunes pour se décider. Il voulait prendre en confiance, être suffisamment droit, fort, pour retrouver Nuage d’Aurore. Se prouver à lui-même qu’il en valait la peine, comme il l’avait dit à Nuage de Louve. Il avait imaginé cette journée plusieurs fois dans sa tête, avant de dormir. Sa génératrice serait impressionnée par sa force, verrait à quel point il avait changé. Elle l’admirerait, quelque part. Serait fière de lui. Il lui demanderait alors de le rejoindre, lui promettrait une place dans le zénith. Loin des clans, loin des règles claniques. Elle rejoindrait sa famille, car elle seule le méritait.
Il ne savait pas encore qu’il rêvait de choses impossibles.
Menace d’Orage attendit plusieurs heures en savourant l’ombre des arbres. Le territoire aubiste n’était pas effroyable et accablant comme celui du crépuscule, ni aussi escarpé et dangereux que celui de la nuit. Il aurait peut-être pu se plaire ici. Et puis du mouvement dans les buissons l’alerta. Il se leva.

”Bonjour ? Je ne cherche pas le conflit.”

C’était bien la première fois, d’ailleurs. Il ne s’était pas aventuré dans leurs terres, mais était resté bien sur la cénote, lieu ouvert à tous les claniques. C’était une preuve de bonne foi, non ?


”Je voudrais avoir des nouvelles de quelqu’un qui se trouve dans le clan de l’aube. Tu penses pouvoir m’éclairer ?”

Il ne voyait pas encore à qui il s’adressait mais le ou la cherchait dans les brousailles.