◉ Ecaille ◉
& Nuage d'Aurore

Les petits étaient arrivés dans un nuage de cris de la même manière que la pluie s’était abattue sur le clan quelques secondes plus tôt, trempant le pelage sombre du novice qui attendait à l’extérieur. Il avait pris sur lui des lunes durant, patientant sans broncher que les petites boules de poils - arrières petits-enfants d’Ecaille de Dragon - ne daignent pointer le bout de leur museau rosé. Le matou se dandinait d’une patte sur l’autre, à la fois excité, nerveux et terriblement en colère. Excité à l’idée de retirer ses petits à Nuage d’une Berceuse ; nerveux à l’idée de devoir mettre son plan en action ; en colère contre lui-même, de ne pas pouvoir offrir à ses chatons une vie décente.
Lorsqu’il pénétra la pouponnière, Nuage Blanc renifla l’air ambiant. Il y respirait le mélange d’une odeur lactée et d’une effluve animale : celle de ses cinq chatons. Tous bien portants, avec de jolies couleurs malgré leur pelage humides. Ils rampaient avec de petits cris déchirants et, lorsque tous trouvèrent le lait, la pouponnière redevint aussi silencieuse qu’avant, seulement troublée par le clapotis de l’eau sur les ronces. Le matou fronça les sourcils, reportant son attention sur Nuage d’une Berceuse, son regard froid et dur. « Tu sais que ce que je vais faire me brise le cœur autant que toi, mais ils méritent une vie loin de tout ça » miaula-t-il, la gorge nouée ; il n’était pas sincère - il ne l’était jamais - mais la peur ne voulait le quitter. « Je vais les emmener, avant qu’ils ne s’habituent à nous. Plus vite ils partent, mieux nous nous porterons tous. » D’un geste doux en apparence, il frotta son museau contre celui de la chatte, retenant un violent réflexe de dégoût.
D’un geste faussement timide, il demanda à l’un des apprentis présents devant la pouponnière de l’aider à porter les chatons jusqu’à la frontière du Crépuscule. Nuage d’une Berceuse ne broncha pas, résignée, et tous deux les portèrent dans la montagne. Arrivé au marquage, il congédia son camarade d’un geste de la queue, faignant le désespoir alors même que son regard brillait d’une lueur folle.

Que faire, maintenant ?
Les cinq chatons tremblaient de froid tout en poussant des gémissements aigus et agaçants ; le plus frêle - une femelle grise et crème - semblait presque mort après cette longue marche dans le froid. « Mes petits » murmura-t-il, lui-même devenu aussi faible et hésitant qu’un nouveau-né. « Je ne voulais pas cela pour vous. Mais il n’y a rien de pire pour un félin de notre génération que de vive parmi ces crevards. Je ne veux pas faire de vous de parfaits petits soldats… vous méritez de rejoindre une terre belle et douce, auprès de votre arrière grand-père ». Jamais il ne s’était senti aussi perdu. « Je ne pourrais supporter de vous savoir aux côtés de telles ordures, ils… ils lui ont fait tellement de mal ! » s’exclama-t-il avant de trancher la gorge sur mâle gris et brun d’un coup de griffe. Sa mort fut immédiate, mais son sang se répandit lentement sur le sol, imbibant la fourrure de ses frères et sœurs.
Il resta là, à observer cette tâche rouge grandir, s’étaler sur la terre dure et froide. Paralysé, les membres tremblants, il laissa la rage l’enchaîner, ses yeux fous immobiles, seul le vent balayant son pelage. L’angoisse lui nouait l’estomac.
Il hurla. D’une voix teintée de désespoir et de peur. Une plainte destinée à qui pouvait bien l’entendre - personne, si ce n’est Ecaille de Dragon du haut des cieux. Il se laissa tomber, haletant, et resta ainsi prostré de longues minutes, avant de reprendre ses esprits. « Je ne peux pas faire ça, » miaula-t-il doucement. « Je ne peux pas vous faire ça ».

« Moi je le peux, si tu le souhaites » miaula Nuage d’Aurore, dont la silhouette se détachait sur la colline. Sa voix était cristalline, douce malgré le manque flagrant de considération pour ces cinq chatons.
Nuage Blanc se redressa, reprenant enfin ses esprits devant la féline crème et brune. « Je pensais que tu arriverais plus tard, pour m’aider à les cacher, » miaula-t-il d’une voix rauque. Elle seule avait connaissance de ses plans. « Mais je ne veux plus les tuer. » Sa voix était calme, la peur ayant quitté son corps désormais.
« Je vois ça. Je peux les élever, » miaula-t-elle après un long silence. « J’ai perdu mes chatons », il le savait déjà, « et j’ai changé d’avis aussi. Je ne veux pas que tu les tues, mais je veux faire comme s’ils étaient les miens. »
Nuage Blanc hésita, lorgnant sur ses petits, hésitant sur la marche à suivre. Ils allaient bientôt mourir, si personne ne les réchauffait, et il n’avait plus aucune envie de répandre le sang à nouveau. « Tu me promets de ne pas les pousser à devenir comme eux ? Tu es la seule dans cette forêt à comprendre, la seule qui ne suit pas bêtement la loi des guerriers. J’ai un plan, Nuage d’Aurore, et je veux que ces petits le sachent et que jamais - jamais - ils n’oublient Ecaille de Dragon » , miaula-t-il avec colère, ses yeux bleus ayant tout à faire trouvé leur lueur vengeresse. « Tu peux compter sur moi, Nuage Blanc, ces petits deviendront aussi forts que toi. »

Et c’était tout. En quelques minutes, la décision avait été prise. « Comment se nommes-t-il ? » demanda la novice avec un léger sourire. Elle était évidemment ravie de faire souffrir Nuage d’une Berceuse, se délectant à l’idée du moment où elle pourrait la narguer. Nuage Blanc ne réfléchit pas longtemps «  Petite Lune, Petit Orage, Petit Lézard, Petite Buse et… » il se tourna vers son fils, mort, « Petit Chêne ».

Étoile Acharnée a écrit:

- Les Clans non, les impies de la Tribu oui, eux ne respectent pas le code, pour eux, la partie à retenir, c'est "Toute intrusion doit être punie". Et marquer fortement notre frontière avec eux permet de démontrer que l'on est là et vigilants, prêts à répondre à toute offense. Donc oui, on s'y attarde plus que sur cette frontière-ci, d'autant que depuis le raz-de-marée, tout le monde considère ces terres maudites. Allez, remontons le long de la frontière du Zénith, dis-moi ce qui attire ton attention.

Miaula Fleur de Myrtille tout en avançant le long du courant qui remontait vers les monts nuiteux.