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La Cénote aux Étoiles

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Graine de Sureau
Lieutenant de l'Aube
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Graine de Sureau


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MessageSujet: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeSam 24 Avr - 17:40

Rappel du premier message :

La Cénote aux Étoiles - Page 4 La_czo10
Petite cavité isolée proche de la mer. C'est ici que les chefs et guérisseurs communient avec le Clan des Étoiles. La lune se reflète dans l'eau grâce à une ouverture dans la roche. On peut y accéder par le continent, ou par la plage de galet sur laquelle donne la grotte. Elle se situe entre les territoires aubistes et crépusculiens.
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Etoile des Âmes
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Etoile des Âmes


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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeDim 18 Fév - 22:40

⇨ Nuage Uni ⇦
La Cénote aux Étoiles - Page 4 Union110
Baptême d'apprentie guérisseuse

Nuage Uni avait un peu peur, devant ce bouche noire dans la falaise, semblant prête à l'engloutir. Elle avait rencontré les autres guérisseurs et apprentis guérisseurs, et à présent ils avançaient dans l'obscurité, sans peur. Fleur d'Argent toucha son épaule avec le bout de sa queue, l'invitant à avancer. Nuage Uni le regarda, avant d'oser faire un pas, puis encore un autre.

Elle avait l'impression que hier encore, elle était avec ses parents, Vol, et Voyage. A écouter les récits de sa mère, ses voyages, et les histoires de son père, ses erreurs. Ils lui avaient laissé le choix de ses idéaux. Et c'est ainsi qu'elle s'était mise à rêver de Clans, de leurs idéaux, et de ce Clan mystérieux semblant au dessus de tout. Son père lui avait avoué qu'il connaissait un chat qui y croyait, et qu'il avait tenté de lui expliquer, sans succès. Alors qu'elle était arrivée dans les Clans, connaissant les légendes, les coutumes, elle avait quand même été surprise. Elle ne s'attendait pas à autant de violence, et elle réalisa alors que les histoires de son père avaient été allégées de la douleur. Pourtant, cette large balafre qui barrait son flanc aurait dû lui mettre la puce à l'oreille.

Elle s'avança dans la Cénote, découvrant avec stupeur un plan d'eau dans le ventre de la falaise. Fleur d'Argent l'avait dépassé, et l'attendait déjà, assis, en la regardant. Les autres guérisseurs attendaient aussi.

"- Nuage Uni, souhaites-tu devenir guérisseuse, et partager les mystères du Clan des Etoiles ?" Miaula le matou bicolore alors que l'apprentie s'approchait. Encore incertaine, Nuage Uni laissa planer un instant de silence, avant de se remémorer des paroles de sa sœur pendant son hallucination partagée avec son nouveau mentor. C'était son destin.

"- Oui." Miaula-t-elle finalement.

"- Alors, avance. Guerriers du Clan des Étoiles, je vous présente cet apprenti. Il a choisi de suivre la voie des guérisseurs. Accordez lui sagesse et clairvoyance afin qu'il comprenne vos choix et soigne son Clan selon votre volonté."

Fleur d'Argent pressa sa truffe contre celle de Nuage Uni, et tous les guérisseurs se tournèrent, et burent une gorgée de l'eau cristalline, à présent illuminée par la lune. L'apprentie s'approcha de la surface de l'eau, regarda son reflet. Est ce que ce Clan des Etoiles l'accepterait ? Fleur d'Argent lui avait dit qu'elle allait partager leurs rêves. Pourtant, son père était un meurtrier, à l'époque. Elle était une solitaire, une paria au sein du Clan. Et si c'était juste une hallucination qu'elle avait eu, et rien de plus ? Le chagrin de perdre sa sœur était immense. Elle avait l'impression d'être si seule, alors que même Nuage de Genêt l'ignorait. Peut être devenait-elle juste folle ?

Nuage Uni lappa une gorgée de l'eau, alors qu'une sensation de froid la fit trembloter. Elle devait aller au bout, au moins pour Fleur d'Argent. Il semblait attendre tellement d'elle. Se couchant sur la pierre froide, elle ferma les yeux, et s'endormit.

Elle rouvrit les yeux, et elle sursauta en voyant qu'elle était au bord d'une falaise, donnant sur une mer sans fin. Le ciel étoilé s'étendait à perte de vue au-dessus d'elle. Il lui semblait être dans l'une des histoires de sa mère.

"- Tu as toujours douté de toi, pourtant, tu es à ta place." Miaula une voix douloureusement familière.

Nuage Uni se retourna pour voir Chant des Eaux, cette belle chatte qui les avait prises sous son aile, quand elles étaient arrivées. Toutes ses cicatrices qui zébraient son corps brillaient d'une lueur blanche.

"- Chant des Eaux..." Souffla l'apprentie, en faisant un pas vers elle.

"- Je suis heureuse de te revoir. Je tenais à te guider vers un chat qui souhaite te parler." Miaula la chatte grise, en invitant Nuage Uni à la suivre d'un signe de queue.

"- Alors, ce n'était pas une hallucination que j'ai eu au champ de jonquilles ? C'était vraiment Concorde des Mondes ?" Demanda la chatte bicolore en suivant celle qui avait été sa mère adoptive dans le Clan.

"- Oui c'était elle. Elle veille sur vous. Même si elle n'est pas née au sein des Clans, elle mérite sa place parmi nous. Comme ton père quand son heure viendra."

"- Mon père ? Mais il a combattu des claniques par haine. Il a soutenu Cobra."
"- Naître avec les mauvaises personnes autour de soi ne fait pas de nous quelqu'un de mauvais. Juste quelqu'un qui a pris les mauvaises décisions et qui tente de se racheter."
Miaula Chant des Eaux sur un ton chantonnant.

Nuage Uni se tut un instant, réfléchissant à ce qu'elle voulait dire quand une silhouette apparue devant elles. C'était une belle chatte crème, tigrée de brun.

"- Bonjour Nuage Uni. Je suis Geai des Chênes, j'étais une guérisseuse du Clan du Crépuscule." Miaula la belle chatte, en se relevant à l'approche de Chant des Eaux et Nuage Uni.

"- Bonjour..." Miaula l'apprentie bicolore, quelque peu intimidée de rencontrer un membre du Clan des Etoiles inconnu.

"- Je suis heureuse que Fleur d'Argent te prenne comme apprentie. Tu as toutes les qualités pour faire une bonne guérisseuse. Mais n'oublie pas, notre voie est pleine de sacrifice à faire."
"- Comment ça ?" S'étonna Nuage Uni.
"- Tu devras abandonner l'idée d'avoir un compagnon, ou des chatons. Notre destin est de nous consacrer pleinement à notre Clan."

Nuage Uni baissa les yeux un instant, alors que l'image de Nuage de Genêt s'invita dans son esprit. Après tout, il se fichait bien d'elle, il semblait même avoir une dent contre elle. Si son destin était de prendre soin du Clan, elle accepterait bien que Nuage de Genêt s'éloigne d'elle pour de bon.

"- Je comprends. J'accepte." Miaula Nuage Uni en relevant les yeux vers Geai des Chênes. Cette dernière eut un hochement de tête, avant de miauler :

"- Sois forte. Ce fut mon erreur de mon vivant. Alors, Nuage Uni, au nom du Clan des Etoiles, puisses-tu trouver ta voie dans le rôle de guérisseur."

Chant des Eaux se mit alors à scander son nom, suivit par Geai des Chênes. Peu après, une troisième voix se joignit au chœur, alors que Concorde des Mondes s'approcha, et frotta sa tête contre le pelage de sa sœur.

"- Je suis fière de toi. Prends soin de notre Clan, de mes petits, et de Nuage de Cascade, s'il te plait." Chuchota sa sœur à l'oreille de Nuage Uni, qui frotta sa tête contre l'épaule de celle qui avait partagé sa vie, ses rêves en guise de réponse.

Nuage Uni se réveilla en sursaut au bord de la Cénote. Fleur d'Argent lui aussi se réveillait, et regarda son apprentie avec un petit sourire.

"- Ils m'ont accepté." Souffla la chatte bicolore, son pelage hérissé d'excitation et de bonheur.

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Étoile de Myrtille
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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeMar 20 Fév - 18:01

Rivière d'Argile a écrit:


La voix de Chevêchette des Rocheuses résonna dans la cavité, lui donnant l'impression qu'elle parlait tout proche de ses oreilles et, à la fois, partout en même temps. La perception était aussi stupéfiante qu'incroyable et, là encore, Rivière d'Argile se sentit à quelques moustaches du Clan des Etoiles. Pas étonnant qu'ici précisément leurs voix soient limpides : quel autre lieu sur la terre des Clans pour entendre les paroles de leurs ancêtres ? Boule hocha de la tête à la proposition de Chevêchette des Rocheuses -après tout, pourquoi pas ? Se collant à son amie dont le contact lui assurait qu'elles étaient encore bel et bien vivantes et conscientes, quelque part dans un lieu qu'elles n'auraient jamais imaginé explorer un jour et que leur imagination n'aurait jamais su imiter, Rivière d'Argile murmura :

"Faisons ça. Mais avant, j'ai besoin de boire : j'ai si soif que je pourrais laper un lac entier !"

Se penchant en avant sur la pierre, Boule découvrit un rebord pierreux juste sous la surface : un marche-patte idéal sur lequel elle s'empressa de descendre pour boire. Tout espoir de pénétrer une eau chauffée par le cosmos s'effondra au moment où ses coussinets pénétrèrent l'étang cristallin : elle était aussi glaciale qu'elle était transparente. La couleur aurait du la mettre sur la piste... Elle frissonna, s'empressa de se désaltérer, imitée par Chevêchette des Rocheuses dont le visage apparut en périphérie de sa vision, juste à côté d'elle sur la pierre immergée, puis ne se donna pas plus de temps pour réfléchir. Boule se laissa glisser dedans comme une algue, sentant tous ses muscles se contracter en réaction au froid, et hoqueta. Ses oreilles rabattues sur le crâne, elle se dépêcha de plonger sous l'eau, incapable de savourer comme elle l'aurait aimé ce fragment de lac étoilé, puis remonta et se hissa sur la berge. Frénétiquement, la jeune chatte se donna plusieurs coups de langue pour se réchauffer, adressant à Chevêchette des Rocheuses lorsque celle-ci se retrouva dans la même précipitation qu'elle une plainte :

"Elle est si froide ! Quel supplice pour..."

Mais alors qu'elle parlait, Rivière d'Argile sentit sa gueule en difficulté : articuler était soudain laborieux, harassant. Elle s'y reprit, fronçant le museau, reposant ses membres lourds comme la pierre sur le sol -tant pis pour la toilette... c'était trop dur... elle sècherait bien plus tard, sur le chemin du retour :

"... pour communier avec le Clan des Etoiles..."

Et à ces mots, ses paupières battirent une dernière fois sur le visage engourdi de son amie, qui avait déjà les yeux clos et tanguait comme un frêne sous l'orage battant. Leurs corps s'affaissèrent doucement l'un contre l'autre et les deux chattes s'endormirent dans un pêle-mêle de poils bruns et blancs.

*    *    *

Quand elle rouvrit les paupières, Rivière d'Argile était sur une terre ferme, semblable à la parcelle du territoire Nuiteux près des Massifs de l'Espérance. Elle devait être haut en altitude car la végétation était rare aux alentours -mais le panorama spectaculaire. Sous ses yeux ébahis comme au premier jour de sa visite du territoire, elle découvrit une pinède nichée entre deux crêtes rocheuses acérées, plus loin dans le creux des flancs de la montagne. Les pentes étaient raides, glissantes de ce que la guerrière pouvait en juger, et elle se demanda s'il s'agissait bel et bien du territoire de son Clan. Mais alors qu'elle plissait des yeux pour essayer d'aviser l'autre versant de l'arête terrestre qui cisaillait l'horizon, elle entendit un cri qui lui hérissa l'échine et lui glaça le sang.
Elle fit volte-face, les sens en alerte, persuadée que la voix lui était familière -mais impossible de déterminer qui. Un parent ? Un camarade ? Chevêchette des Rocheuses peut-être ? Sans réfléchir, la jeune féline s'élança dans la pente de poussière et de graviers, glissant, courant, freinant maladroitement en essayant de se rapprocher de la voix qui criait encore.

"J'ARRIVE !" S'épouma t-elle, le souffle court, sentant un sentiment odieux lui nouer les entrailles.

Elle parvint en bas bon gré mal gré, sur un sol recouvert d'une fine couche de mycélium, et guetta, l'oreille tendue, le cri. Là-bas ! Elle repartit ventre-à-terre... Et manqua une chute mortelle d'un poil de moustache en pillant au tout dernier moment. Au détour d'un buisson rabougri se dissimulait l'effroyable gueule du vide. Là, la montagne cédait à pic : un vide vertigineux, une falaise abrupte et nette, comme taillée par une grande lame de vent, dégringolant de terre et de petits cailloux. Le cœur dans la gorge, elle contempla avec horreur ce qui avait failli l'engloutir de néant. Et le cri retentit, tout proche cette fois.
En tournant la tête, le monde sembla se fracturer.
Là, au bord du vide, à quelques longueurs de queue contre la falaise qui se redressait de nouveau comme un mur et ne laissait plus qu'une fine tranche de sentier praticable, une jeune chatte se tenait debout, le visage dévasté d'un chagrin inénarrable, semblant hésiter à sauter, regardant vers le bas avec détresse.

Nuage Chouette.

Hébétée, Boule suivit son regard des yeux et reconnut au sol, tout petit point gris-brun gisant dans une marre de sang, le corps sans vie de Nuage du Grizzly. La certitude que c'était lui l'assomma et, pourtant, l'espace d'un battement de cils, sa vision se troubla.
En un fragment de seconde, elle se retrouva sur la petite corniche étroite de laquelle la chatte criait -c'était elle et elle pleurait et hurlait avec ses propres poumons tandis qu'en bas, elle savait un corps qu'elle aurait préféré ne jamais voir ainsi : Golem des Mers. Il était mort, et c'était lui qu'elle pleurait comme une reine épouvantée. Rivière d'Argile pleurait ce frère qui avait tout été pour elle : comme par enchantement, tous ses souvenirs évoquaient une enfance chaperonnée par des exigences implacables et strictes avec pour seule porte de sortie la complicité d'un frère qui vivait la même chose qu'elle. Boule et Golem, prisonnier.ère.s de leur famille, coincé.e.s par le sort, cherchant à fuir ce destin qu'on attendait d'elleux. Lui mort, la porte s'était refermée et à partir de maintenant, Rivière d'Argile avait la certitude qu'elle serait éternellement coincée dans cette grotte noire où résonneraient les attentes, ricocheraient les regards déçus, pleuvraient la colère de miaulements acerbes et de reproches.

Elle était infiniment seule, et le corps de son frère, désarticulé sur la pierre froide, l'était aussi.
Tout se brouilla à nouveau : l'intensité d'émotions qu'elle n'avait jamais ressenti de sa vie lui commençait à lui brûler la vue et la poitrine. Autour d'elle, un bourdonnement profond s'éleva -un tremblement de terre ? Puis, soudain, tout s'éteignit.

*

Rivière d'Argile se réveilla dans une grande inspiration paniquée. Les pupilles écarquillées et le bord des yeux fiévreux, elle mit plusieurs secondes à reconnaître la masse brune qui la recouvrait de moitié.

"Chevêchette des Rocheuses... ?" Murmura t-elle en sentant sa gorge se nouer.

Et, prononçant le nom de son amie, un grand fracas dans son dos la fit sursauter. Qu'est-ce que... ?! L'océan ?
Tout lui revint alors : la dispute avec Chevêchette des Rocheuses, la proposition folle d'aller à la Cénote s'échanger leurs rêves, leur course effrénée à-travers les territoires, leur baignade dans l'eau glacée et la torpeur qui les avait emportées. Alors... c'était ce qu'avait ressenti la guerrière brune à la mort de son frère ? Ces cris déchirants dans sa tête... ça n'avait été qu'un rêve ? Qu'une projection de ce qui se passait en permanence dans son esprit quand elle imaginait la dépouille de Nuage de Grizzly qu'elle n'avait pas retrouvé ? Les yeux bien ouverts maintenant, Boule contemplait le corps de la belle chatte brune tandis qu'elle retrouvait vraisemblablement ses esprits aussi, d'un œil tout nouveau.

[ T'as sacrément bien dépeint l'esprit de Chevêchette ! J'ai la pression maintenant x) ]

La sensation l'assaillit sitôt que son amie l'eut évoquée, cette longue course depuis les monts de leur Clan les laissait effectivement déshydratées, et si elles s'étaient pressées pour arriver au plus tôt, elles prirent néanmoins le temps de se désaltérer. L'eau était aussi froide qu'elle était claire, si bien que Chevêchette des Rocheuses sentit ses coussinets, immergés, s'engourdir tandis qu'elle lapait la surface du courant. En perdant si vite ses sensations, ne risquait-elle pas la noyade à s'immerger entièrement comme elle l'avait suggérée ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus avant, ou même de communiquer ses réserves, déjà le contact du pelage de Rivière d'Argile contre le sien se rompait, alors que la lieutenante plongeait. Sans tergiverser davantage, la guerrière la suivit. Son corps entier se crispa, ses poumons semblèrent se recroqueviller dans sa poitrine, en dépit de quoi la féline fit pénétrer jusqu'au dernier poil de son corps dans l'eau. Elle en sortit à la hâte, remontant sur la petite esplanade qui baignait en surface. Frissonnante, elle se lécha à rebrousse-poil dans l'espoir de se réchauffer, mais sa langue s'engourdit, et la sensation gagna bientôt tout son corps puis, sans tout à fait s'en apercevoir, elle tomba tout contre Rivière d'Argile, ses lourdes paupières s'abattant sur son regard.


***


Ses pensées se brouillèrent à l'instar de ses sensations, disparaissant dans une brume épaisse jusqu'à s'éteindre tout à fait… et revenir complètement changées. Si elle avait conscience d'être Chevêchette des Rocheuses, cela était bien la seule chose qui la rattachait encore à elle, tout le reste devenu un méli-mélo de sentiments inconnus qui s'ordonnaient au fil que le brouillard dans son esprit se désépaississait. Un élément dans ce fouillis restait néanmoins familier, et c'est à cela qu'elle se rattacha d'abord. Une aversion presque physique à l'égard d'une bonne partie de ses congénères, si enfouie qu'elle vibrait au fond d'elle, et si dans l'instant elle se sentait à même de la réprimer, elle savait qu'en temps normal, elle n'aurait été capable que de la faire déferler sur le monde. Confortée dans ces émotions familières, elle laissa sa découverte s'étendre plus loin, s'ouvrant au reste de cet esprit étranger qui devenait sien. Le jeu, la perspicacité, la curiosité, elle pénétrait pour entrer en symbiose en retrouvant des éléments familiers auxquels se raccrocher, jusqu'à rencontrer quelque chose de complètement nouveau. De profondément changé. De fondamentalement étranger, qui se présentait désormais à elle comme une évidence. Elle était méritante. Elle était faite pour réussir. Elle était faite pour contrôler. Comme seuls les forts le pouvaient. Elle sentit l'impression grisante de gagner en maîtrise, de prendre son essor, d'épanouir sa personne aux dépens et au mépris des autres, un frisson d'excitation parcouru son esprit, ainsi qu'un gonflement de fierté. Elle arriverait à ses fins.


***


La rupture fut brutale. Dans un sursaut elle se redressa, sur le qui-vive, reprenant patte dans son propre corps, et dans ses propres pensées qui se rappelaient brusquement à elle. Rien n'avait changé, et la première chose à l'assaillir à son réveil fut le visage de Nuage de Grizzly. Mais tout avait changé à la fois, et croisant le regard de Rivière d'Argile, elle la sonda comme jamais auparavant, les yeux plongés dans les siens, une drôle de sensation lui enserrant la gorge alors que ses pensées se mêlaient aux siennes.

- Je...

C'était comme si, désormais, une partie de Rivière d'Argile était ancrée en elle, et inversement. Que pouvaient-elles en dire ? Que pouvaient-elles en faire ? Que pouvaient-elles en penser ? Tout était si brutal et si nouveau qu'il était difficile de l'observer avec recul, de l'embrasser ou de le rejeter, de le comprendre ou de l'interroger. Chevêchette des Rocheuses, en dépit de son retour sur terre, restait égarée ailleurs, dans une dimension à laquelle seule Rivière d'Argile avait eu accès.

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Brûlure Céleste
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Brûlure Céleste


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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeDim 25 Fév - 12:50

🌟 H A L O 🌟
La Cénote aux Étoiles - Page 4 Miroux12
- BAPTÊME DE GUERISSEUR -


Se fut que lorsqu’il se trouva face à la Cénote, baignant dans un océan d’étoiles, que Nuage Brûlé cilla. Kaio ne pouvait plus le retenir aussi longtemps qu’il le pouvait. Métér et Catharsis lui avaient déjà part de leur souhait commun de rendre à Halo la place qu’il mérite. Qu’il revienne en tant qu’hôte au sein de son propre système. Mais Kaio, déterminé à imaginer qu’Halo prenne les pattes à son cou aussitôt qu’il reprendrait le contrôle, n’avait jamais cédé. Il était clair ; jamais il ne laisserait Halo venir à leur côté. Non. Car il ne lui faisait pas confiance, il avait l’impression de le connaître mieux que quiconque. Il sentit Catharsis et Kryos faire pression ensemble sur la barrière imposante que Kaio avait forgé depuis si longtemps. « Vous n’y arriverez pas ! » feulait-il intérieurement, plongeant ses griffes dans le sol.
Affranchi, qui l’avait accompagné en tant que mentor, dressa l’oreille vers son apprenti, constatant son état soudain, qui s’apparentait à de la détresse :
« Tu n’as pas à avoir peur, tenta-t-il de le rassurer, tout va bien se passer, tu as fait… »
Mais Nuage Brûlé ne l’entendait plus. Plongé dans un combat violent interne, il luttait contre toutes ses entités qui semblaient s’entretuer verbalement. Les cris et feulements étaient si intenses que Nuage Brûlé rabattit les oreilles, tentant de les faire taire. Tout se mélangeait, tout n’était à présent qu’un ouragan impressionnant de sons et d’images.
« Laisse-le, je sens qu’il souhaite revenir… et ne plus fuir. Je le sais, miaula Métér avec désespoir.
- Jamais ! C’est du bluff, j’en suis certain, tu es trop naïve. Aussitôt qu’il aura le contrôle, il repartira avec Cauchemar comme si de rien n’était !
- Non ! Il a des responsabilités, à présent, il en est conscient. Même dans son état de dormance, il a évolué.
- Kaio, reprit Catharsis, je suis sûr que tu le veux aussi, tu as juste peur de voir tous tes efforts réduits à néant, mais il n’en sera rien.
- Et si je ne peux pas reprendre le contrôle ? Et si cette « évolution » l’a rendu plus fort ?
- C’est qu’il sera guéri, Kaio.
Kaio cessa de respirer un instant, s’imaginant disparaître, fissionnant avec Halo :
- Je ne peux pas y croire. Il n’est pas guéri et ne le sera jamais. Nos traumatismes sont trop importants pour ça. Il est trop fragile, il est trop instable, il va encore causer des problèmes. Il ne connaît pas le nom de chaque plante ni leurs propriétés. On est sur le point de devenir guérisseur, qu’adviendra-t-il si on a une nouvelle entité à gérer ?
- Ataraxie n’y connaît rien non plus, de même que Dnophos. Oudèn et Sigé ne sont pas très au fait dessus également. Il ne sera pas le seul et il pourra faire appel à nous en cas de besoin. On peut y arriver, insista Métér.
Kaio secoua la tête, perdu :
- C’est trop dangereux…
- On ne peut pas y arriver si tu refuses de lui faire confiance, gronda Kryos, sortant de l’ombre. Le frère d’Halo nous l’a fait comprendre ; il faut se faire confiance. Là, tu ressembles à Dnophos et si tu deviens comme lui, nous serons dans l’obligeance de te mettre de côté, comme lui actuellement. Si tu nous causes du tort ainsi en ne voulant pas coopérer pour améliorer les choses, tu ne seras plus le bienvenu en tant qu’hôte principal. Tu es en minorité, Kaio, ne l’oublie pas.
Kaio se retint de frémir et toisa Kryos avec une certaine fureur qui naquit au fond de son cœur :
- Comment oses-tu me comparer à cette ordure ?
- Alors ne sois pas comme lui et respecte nos choix.
Kaio secoua la tête, tentant de fixer les prunelles bleues de son mentor, cherchant à s’ancrer dans la réalité encore plus, chassant Ataraxie qui avait pris le relais un simple instant. Affranchi essayait de l’appeler, visiblement dérouté et finalement Kaio se redressa et hocha la tête avec plus d’assurance :
- J’y vais. »
Il lapa l’eau gelée et la réalité s’évanouit aussitôt, le plongeant dans les ténèbres habituelles menant aux étoiles.


***


La sensation était… délicieusement confortable. Flottant dans le vide, le corps semblant peser aussi léger qu’une plume, Halo ne voulait plus quitter cet état de transe, dans laquelle il était plongé depuis si longtemps, maintenant. Son dernier souvenir remontait à la discussion avec Soleil Etincelant, lui parlant depuis le Clan des Etoiles, lors d’une nuit. Celui-ci lui avait dit de prendre confiance, d’avoir la volonté de revenir parmi les autres, de leur faire confiance. Et cette confiance n’était guère simple à acquérir, cela demandait de s’accepter lui-même avant toute seule. S’accepter, lui et ses défauts, lui et ses erreurs, lui et ses péchés. Accepter l’incendie, accepter la mort de Nuage du Stratus, accepter le meurtre d’Etoile Tourmentée par Dnophos. Ce n’était pas simple car, chaque minute, les mêmes réminiscences tournaient en boucle dans sa tête. Cependant, à force de les voir encore et encore, il arrivait maintenant à comprendre comment les évènements s’étaient déroulés, quels avaient été le moment déclenchant et leurs avaient été les éléments préconditionnants. A chaque fois, c’était la même chose ; une influence extérieure, un moment de faiblesse, une perte de contrôle de son propre corps. Réussir à ne plus se détester allait encore être compliqué, mais apprendre à vivre avec et l’accepter pouvait être possible à présent.
Halo ouvrit alors les yeux, décidé, et se concentra, tant d’apercevoir l’ouverture qui mènerait à ce point de rupture qui changerait tout. Mais alors qu’il commençait à glisser vers la douce clarté qui lui tendait les pattes, il fut stoppé net par un mur :
« Que souhaites-tu réellement faire ?
Kaio lui faisait face, tentant tant bien que mal de conserver son contrôle. Halo écarquilla son œil unique un instant, troublé de rencontrer son double. Leurs tâches, leurs colores, leur corpulence, tout était symétriquement pareilles. Seule la brûlure de Kaio était située de l’autre côté. Halo cligna l’œil, avant de baisser la tête :
- Accepter et me faire pardonner de mes actes.
- Pourquoi un tel souhait maintenant ?
- Parce que… il le faut. Je suis prêt. J’ai longtemps cru que fuir était la meilleure solution pour les protéger, et j’avais peut-être raison, mais je pense que le mieux est de leur montrer que je suis prêt à tout pour me rattacher. Je veux le faire en soignant mes camarades. Je ne veux plus faire l’idiot comme avant, je veux prendre les responsabilités que vous m’avez octroyée. Je veux…
Il inspira et continua :
- Je veux reprendre le flambeau, vous aidez pour vous remercier tout ce que vous avez fait pour moi. Surtout toi, Kaio. J’ai longtemps exprimé une amertume à ton égard, ne supportant pas d’être revenu et d’avoir quitté Cauchemar… mais finalement, tu m’as montré qu’il était possible de le faire, que je n’étais pas un danger si on restait soudés. Je veux te remercier et te montrer que tu peux me faire confiance. Tu as ma parole.
Kaio, surprit un instant, fronça le nez avant de soupirer :
- De toute façon, je n’ai guère le choix. Je n’ai pas envie de vivre sous la pression des autres chaque jour. Je te laisse ta place. Cependant…
Il s’approcha, murmurant près de son oreille :
- Essaie de t’enfuir une seule fois et tu ne reverras plus la lumière du jour. »
Sur ces paroles qui firent frémir Halo, Kaio se volatilisa à travers la brume et un silence tombal retomba autour de lui. Halo déglutit, avant de se sentit mi soulagé mi anxieux ; il était là pour une bonne raison, à présent. Et cette raison lui donna la nausée. Il observa autour de lui avant d’apercevoir au loin une faible lueur. Curieux, il se mit debout et avança jusqu’à elle, de plus en plus vite, avant de ne plus tenir et de se mettre à courir. Galopant près de la lumière, il se jeta dessus, hors d’haleine avant de perdre patte dans un halo de lumière si luminescent que cela lui brûla la rétine. Il hurla de peur, tombant dans ce soleil avant de rouvrit les yeux, sonné, constant où il se trouvait.
L’originelle prairie étoilée qu’il avait l’habitude de fréquenter, à présent. Autour de lui, Halo découvrit diverses silhouettes aussi familières et inconnues les unes des autres mais un félin retint son attention, situé en face de lui. Lorsque son visage lui apparut enfin, Nuage Brûlé manqua de défaillir sous l’émotion. Les larmes viennent automatiquement noyer sa prunelle et sa gorge se serra si fort qu’il ne pouvait émettre un son :
« Nuage Brûlé, reprends-toi, bon sang, tu vas être guérisseur.
La voix grave et rocailleuse d’Etoile Tourmentée parvient à ses oreilles, faisant palpiter son cœur de chaton. Il ouvrit la gueule, mais ne put que gémir, faisant rouler les yeux de sa mère. Il sentait qu’Ataraxie n’était pas loin, attiré par la voix et l’odeur de leur mère. Le petit chaton blanc était sa part de lui-même lorsqu’il était chaton, connu pour ses bêtises et ses fantaisies. Cela ne manquait pas d’agacer Etoile Tourmentée, faisant toujours rire le Petit Halo, amusé par toutes ses facéties. Qu’est ce qu’il aurait aimé revenir à cette époque d’innocence. Il aurait fait autrement, il ne se serait pas comporté ainsi, il aura changé, pour que sa mère soit fière de lui, pour ne pas que sa vie se finisse ainsi… l’image de son cadavre le rattrapa et il murmura entre deux sanglots :
- J-Je… j-je suis… suis…d-désolé… je… ce n’était… pas…
- Oui, ce n’était pas toi, je sais. J’ai eu du mal à le comprendre, mais Soleil Etincelant me l’a expliqué, ainsi qu’Ivresse des Etoiles. Je t’ai beaucoup observé, tu sais. Tu as tellement évolué. Je n’ai pas toujours été fière de toi, jamais tu ne t’es comporté comme un véritable apprenti guerrier, tu as causé beaucoup de dégâts. J’ai dû te bannir pour que tu comprennes ce que tu avais fait, pour que tu prennes conscience de tes actes. Je ne sais pas si j’aurai dû, sinon jamais tu serais allé voir ce cœur de renard de Cauchemar. Tout aurait pu être différent…
Les paroles de sa mère étaient crues, mais vraies :
- N-Non, maman. Rien n’aurait changé, j-j’ai eu ce changement après l’incendie, j’étais encore dans le camp. Tu as bien fait, je l’avais mérité, amplement. Je ne pourrai jamais m’excuser assez alors j’ai décidé d’accepter d’aider mon Clan pour me racheter. Et même plus encore ; pour simplement le bien de mon Clan. Mes entités ont appris à aimer soigner et réaliser ces tâches de guérisseurs, et je sais que ça peut me plaire aussi. Ils vont m’apprendre, ils connaissent tout. Je veux leur donner une chance d’aller au bout de leurs efforts et devenir guérisseur à part entière. Je ne le serai pas personnellement, mais Kaio et Métér le seront et ils pourront gérer avec Affranchi et Nuage d’Absinthe. J’apprendrai de mon côté, et je rattraperai le retard sur les autres.
Etoile Tourmentée l’observa alors avec un doute persistant dans son regard puis s’approcha de son fils et posa prudemment son museau sur le haut de son crâne :
- Si tu veux te racheter auprès de moi, prouve-le-moi ; deviens un excellent guérisseur. Ne commets plus de vague. Contrôle-toi. Gère le Clan aux côtés de ton frère. Rends-moi fière !
Ce fut l’effet d’un coup de patte dans le museau et Nuage Brûlé recula d’un pas, sonné, avant d’hocher la tête avec assurance. Il le lui prouverait. Ivresse des Etoiles arriva derrière la chatte tricolore et s’avança près du novice :
- Nuage Brûlé, ce fut une nouvelle étape que tu viens de franchir, mais certainement pas la dernière. Tu as encore du chemin à parcourir pour respecter tes engagements et celui que tu comptes prendre dès à présent. On continue de croire en toi, tu n’as commis aucune erreur jusqu’ici et nous en sommes reconnaissants... Nuage Brûlé, reprit-il, sérieusement, t’engages-tu à respecter le Code des guérisseurs et à soigner tes camarades même au péril de ta vie ?
- Oui.
- Alors, par les pouvoirs qui me sont conférés par le Clan des Étoiles, je te donne ton nom de guérisseur : Brûlure Céleste. Nos ancêtres rendent honneur à ta foi et ton courage d’être revenu malgré tout. On compte sur toi, Brûlure Céleste. »
Le nouveau guérisseur sentit son cœur se serrer alors qu’il voyait ses proches disparaître sous ses yeux. Il n’avait jamais été seul, et il ne le sera jamais. Ni sans sur la terre, ni dans les cieux, ni dans son esprit. Entouré et accompagné pour toujours, un nouvel espoir s’offrit à lui.


« Brûlure Céleste ! Brûlure Céleste ! Brûlure Céleste ! »


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Etoile d'Argile
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Etoile d'Argile


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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeDim 25 Fév - 14:50

Étoile Acharnée a écrit:
[ T'as sacrément bien dépeint l'esprit de Chevêchette ! J'ai la pression maintenant x) ]

La sensation l'assaillit sitôt que son amie l'eut évoquée, cette longue course depuis les monts de leur Clan les laissait effectivement déshydratées, et si elles s'étaient pressées pour arriver au plus tôt, elles prirent néanmoins le temps de se désaltérer. L'eau était aussi froide qu'elle était claire, si bien que Chevêchette des Rocheuses sentit ses coussinets, immergés, s'engourdir tandis qu'elle lapait la surface du courant. En perdant si vite ses sensations, ne risquait-elle pas la noyade à s'immerger entièrement comme elle l'avait suggérée ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus avant, ou même de communiquer ses réserves, déjà le contact du pelage de Rivière d'Argile contre le sien se rompait, alors que la lieutenante plongeait. Sans tergiverser davantage, la guerrière la suivit. Son corps entier se crispa, ses poumons semblèrent se recroqueviller dans sa poitrine, en dépit de quoi la féline fit pénétrer jusqu'au dernier poil de son corps dans l'eau. Elle en sortit à la hâte, remontant sur la petite esplanade qui baignait en surface. Frissonnante, elle se lécha à rebrousse-poil dans l'espoir de se réchauffer, mais sa langue s'engourdit, et la sensation gagna bientôt tout son corps puis, sans tout à fait s'en apercevoir, elle tomba tout contre Rivière d'Argile, ses lourdes paupières s'abattant sur son regard.


***


Ses pensées se brouillèrent à l'instar de ses sensations, disparaissant dans une brume épaisse jusqu'à s'éteindre tout à fait… et revenir complètement changées. Si elle avait conscience d'être Chevêchette des Rocheuses, cela était bien la seule chose qui la rattachait encore à elle, tout le reste devenu un méli-mélo de sentiments inconnus qui s'ordonnaient au fil que le brouillard dans son esprit se désépaississait. Un élément dans ce fouillis restait néanmoins familier, et c'est à cela qu'elle se rattacha d'abord. Une aversion presque physique à l'égard d'une bonne partie de ses congénères, si enfouie qu'elle vibrait au fond d'elle, et si dans l'instant elle se sentait à même de la réprimer, elle savait qu'en temps normal, elle n'aurait été capable que de la faire déferler sur le monde. Confortée dans ces émotions familières, elle laissa sa découverte s'étendre plus loin, s'ouvrant au reste de cet esprit étranger qui devenait sien. Le jeu, la perspicacité, la curiosité, elle pénétrait pour entrer en symbiose en retrouvant des éléments familiers auxquels se raccrocher, jusqu'à rencontrer quelque chose de complètement nouveau. De profondément changé. De fondamentalement étranger, qui se présentait désormais à elle comme une évidence. Elle était méritante. Elle était faite pour réussir. Elle était faite pour contrôler. Comme seuls les forts le pouvaient. Elle sentit l'impression grisante de gagner en maîtrise, de prendre son essor, d'épanouir sa personne aux dépens et au mépris des autres, un frisson d'excitation parcouru son esprit, ainsi qu'un gonflement de fierté. Elle arriverait à ses fins.


***


La rupture fut brutale. Dans un sursaut elle se redressa, sur le qui-vive, reprenant patte dans son propre corps, et dans ses propres pensées qui se rappelaient brusquement à elle. Rien n'avait changé, et la première chose à l'assaillir à son réveil fut le visage de Nuage de Grizzly. Mais tout avait changé à la fois, et croisant le regard de Rivière d'Argile, elle la sonda comme jamais auparavant, les yeux plongés dans les siens, une drôle de sensation lui enserrant la gorge alors que ses pensées se mêlaient aux siennes.

- Je...

C'était comme si, désormais, une partie de Rivière d'Argile était ancrée en elle, et inversement. Que pouvaient-elles en dire ? Que pouvaient-elles en faire ? Que pouvaient-elles en penser ? Tout était si brutal et si nouveau qu'il était difficile de l'observer avec recul, de l'embrasser ou de le rejeter, de le comprendre ou de l'interroger. Chevêchette des Rocheuses, en dépit de son retour sur terre, restait égarée ailleurs, dans une dimension à laquelle seule Rivière d'Argile avait eu accès.


Accrochées aux prunelles l'une de l'autre, Chevêchette des Rocheuses et Rivière d'Argile échangeaient un regard d'une telle intensité qu'elle fit douter la guerrière blanche et auburn d'être vraiment réveillée. Si elle venait bel et bien de plonger dans les songes de sa camarade et de découvrir l'intérieur de sa tête comme cela avait été leurs intentions et le plan, alors... cela voulait dire que le Clan des Etoiles avait véritablement accordé leur souhait aux deux chattes. Qu'il avait cautionné leur entreprise secrète et contraire aux règles. Cette entorse resterait-elle silencieuse ou seraient-elles punies à juste titre par l'avertissement d'un.e aïeul.le partit confesser leur aventure à l'oreille d'Etoile Achanrée ? Un tourbillon de questions qui avaient mijoté sans réelle emprise pendant le trajet aller jusqu'à la Cénote mais qui, à ce moment-là, n'était qu'une projection hypothétique d'une transgression non commise. Maintenant, en revanche, elles revenaient avec la force des vagues contre la roche, au dehors, et se heurtaient aux parois de sa boîte crânienne dont l'écume pétillait sous les yeux ambrés de Chevêchette des Rocheuses.
Le cœur battant, Rivière d'Argile s'efforça de déglutir mais, partant de très profond en elle, la fièvre et l'excitation qu'elle avait ressenties à l'idée folle de connaître les pensées de son amie ressurgissaient, taquines et identiques à plus tôt dans la journée. Loin d'avoir calmé l'enthousiasme de Boule, cette expérience sensationnelle alimentait son désir ardent de réexpérimenter ces sensations. Comme les eaux débordées de leur lit après la crue, la terreur et le désespoir de Chevêchette des Rocheuses à la perte de son frère commencèrent à refluer lentement. Il ne restait plus que la guerrière brune, la lieutenante et leur secret sous le regard des étoiles dans cette grotte cristalline au bord de l'océan. Les pupilles si rondes que les yeux de Boule étaient plus noirs que bruns à cet instant, celle-ci murmura du bout des babines :

"Chevêchette des Rocheuses, le Clan des Etoiles nous a laissé partager nos pensées. Je t'ai vue au bord des hautes falaises du territoire, j'ai pleuré la mort de ton frère comme si ça avait été le mien."

Puis la question suivante, franchissant sa gueule sans réfléchir :

"Qu'est-ce que tu as vu ? Qu'est-ce qu'il y a ?"

L'expression de Chevêchette des Rocheuses à son réveil, son état de choc, son bredouillement, tout avait l'air de dire qu'elle aussi avait accédé à quelque chose d'intime, mais Rivière d'Argile ne ressentait aucune angoisse quant à ce que la guerrière avait bien pu trouver dans sa tête. Tout au plus, elle confondrait l'intensité de son animosité et de sa rivalité avec Golem des Mers pour quelque chose que cela n'était pas. Tout au plus, elle aurait couru avec Nuage Dévoué dans les bois et aurait senti la volonté de séduire d'une Boule encore apprentie. Tout au plus, Chevêchette des Rocheuses comprendrait à quel point l'ambition avait toujours été un moteur pour sa camarade qui, jusque là, n'avait jamais exposé son obsession, mais qu'en ferait-elle de toute façon ? Peut-être comprendrait-elle, grâce à cette immersion intérieure. Peut-être cela serait-il une révélation, mais quoi que cela serait, Boule était convaincue que leurs liens étaient désormais noués par une ronce impossible à déraciner. Chevêchette des Rocheuses, têtue et contradictoire, avait osé faire quelque chose d'interdit sur l'incitation de son amie : elles avaient accompli quelque chose de si grisant qu'elles s'étaient plus senties en vie aujourd'hui que n'importe quel autre jour de leur existence. Ensemble.

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Étoile de Myrtille
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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeMar 27 Fév - 13:48

La Cénote aux Étoiles - Page 4 Myrtil12


La marche jusqu’à la Cénote aux Étoiles n’était pas longue, le camp crépusculien était celui qui en était le plus proche. Il suffisait de traverser la combe sablonneuse, et de descendre le long de la rivière jusqu’à la mer, où les vagues berçaient les galets devant l’entrée d’une grotte grandiose qui surplombait les flots avec magnificence. Fleur de Myrtille y pénétra sans hésitation, accompagnée du guérisseur, sereine de savoir son Clan entre de bonnes pattes. Elle avait pleine confiance en Mûre Noire pour gérer en son absence. Elle avançait avec détermination, songeant simplement à l’issue et non à ce qui se déroulerait au cours de la cérémonie. C’était là un secret bien gardé parmi les meneurs, et la vétérane ne s’en inquiétait pas. Ce qui comptait, c’était son Clan, et ce qu’elle pourrait lui offrir. Elle espérait pouvoir lui rendre sa grandeur, lui assurer une force qu’il avait perdue depuis longtemps, le remettre sur pattes. Elle trouverait les moyens d’arriver à ses fins, ses camarades le méritaient. Elle connaissait la Cénote, tous les crépusculiens la connaissaient. Chacun de leurs apprentis y accomplissaient un pèlerinage, souvenir de l’ancien territoire où les crépusculiens se rendaient à… l’Arbre de Vie. Les autres Clans n’avaient pas plus cette tradition qu’ils ne chassaient sous terre, mais Fleur de Myrtille était persuadée qu’il s’agissait là d’un plus pour les siens. Garder un œil sur le passé permettait d’offrir un meilleur avenir, de ne pas reproduire les erreurs, de ne pas oublier les dangers qui guettaient dans l’ombre, prêts à bondir à la moindre garde baissée. Sans s’attarder sur la beauté du lieu, la vétérane s’allongea dès son arrivée au bord de l’eau, et la lapa sans attendre, un frisson la parcourant au contact de l’eau glaciale.

***

Avec le temps, elle avait presque oublié leurs visages. Certains étaient restés frais dans son esprit, comme ceux de son frère ou de son fils, mais d’autres, comme ceux de ses parents et de sa première meneuse, reprendraient forme dans ses songes à l’issue de cette rencontre à la fois inattendue et bienvenue. Devant elle se dressaient les fantômes de son passé, les félins qu’elle avait aimés et perdus, qui l’avaient fait grandir et évoluer. Elle esquissa un sourire, émue, sa gorge se nouant de douleur à la vue de Nuage de Déclin. De tous, c’était sa perte qui avait été la plus douloureuse, malgré la peine inénarrable qu’elle avait ressentie à la mort de ses parents, de son frère ou encore de son mentor.

- Fleur de Myrtille, bienvenue sur les terres du Clan des Étoiles.

Miaula Étoile de l’Aube en s’approchant. La mort lui avait rendu son panache, bien loin du misérable matou qui, sous le poids de sa faiblesse, avait dû renoncer à son poste de meneur, pour le bien des siens. Fleur de Myrtille le respectait pour cela, il avait accepté de faire ce choix impossible lorsqu’il s’était présenté à lui, et si elle l’avait regretté, jamais elle ne le lui avait reproché, au contraire. C’était une sagesse qu’elle aurait aimé voir en davantage de félins.

- Merci Étoile de l’Aube, c’est un honneur. Et un plaisir d’avoir la chance de vous revoir.

Cela ne durerait que cette nuit, et ensuite, de nouveau, ils disparaîtraient de sa vie. Elle devrait à nouveau faire le deuil de leur absence, mais avec un peu de baume au cœur : la satisfaction de leur avoir dit « au revoir ». Son mentor et ami esquissa un léger sourire, avant de continuer :

- Es-tu prête à recevoir tes neuf vies, et ton nom de chef ?

- Oui.

Elle répondit sans hésiter, avec détermination, il était temps. Un Clan si affaibli ne pouvait rester sans meneur. Elle n’avait pas un instant à perdre, elle ne pouvait s’égarer en retrouvailles émouvantes, aussi fort qu’elle pouvait le vouloir, elle avait un devoir à accomplir, et une famille qui l’attendait. Celle présente ici, elle finirait par la retrouver, le jour lointain où elle aurait épuisé ses neuf vies, et remis son Clan sur pattes.

***

Son visage s’était peu à peu effacé au fil des lunes, se dessinant à travers les traits de Mûre Noire et Étoile du Groseiller. À l’instar de sa compagne, il était mort bien des saisons auparavant, en se battant pour son Clan. Ce Clan qu’il avait rejoint par amour, et dont il avait su embrasser les coutumes avec plus de respect que ne le faisaient certains natifs. Il avait prêté serment, et avait suivi ses vœux jusqu’au bout, jusqu’à mourir en leur nom. Il avait cru en ces promesses à l’instar de trop peu d’autres, et le revoir ce jour rappelait à Fleur de Myrtille que les meilleurs éléments ne naissaient pas nécessairement au sein du Clan. Bien que la plupart le faisaient, et que beaucoup des pièces rapportées finissaient par devenir un poids lourd à porter. La guerrière portait à son défunt père un profond respect et un amour sincère, peut-être plus encore de l’avoir vu porter ses vœux jusqu’à son dernier souffle. Ce jour-là, elle s’en souvenait presque aussi bien que s’il avait eu lieu la veille. Cette bataille pour mettre fin aux dangereuses libertés que prenait Étoile du Golem, où Clan de l’Aube et du Crépuscule avaient allié leurs forces pour mettre les leurs en sécurité, contre cet impie qui osait se prénommer « Étoile ». Croc Noir était mort pour ce combat, et si sa perte conjuguée à celle d’Ombre Féline avait été origine d’une profonde souffrance, la première du genre qu’ait connu la vétérane, elle avait servi un dessein plus grand que ne l’étaient ces individus perdus. Fleur de Myrtille avait toujours rendu honneur à ce geste, tout en pleurant ce qu’il avait engendré. L’orphelinat. Celui que connaissaient désormais ses neveux, à peu près au même âge où Mûre Noire, Étoile du Groseiller et elle avaient perdu leurs parents. Avec tempérance, son père s’approcha d’elle jusqu’à poser son museau sur son front avec douceur, puis lui donna une léchouille sur la joue en ronronnant, et recula d’un pas.

- Fleur de Myrtille. Je suis si fier du chemin que vous avez parcouru, ta fratrie et toi. Et désolé de toute la souffrance que vous avez eu à endurer…

- Merci Croc Noir, je te serai toujours reconnaissante de tout ce que tu as fait pour nous.

Contrairement à d’autres félins dans sa situation, Croc Noir avait pleinement participé à leur éducation clanique, et leur avait fourni un modèle digne de ce nom à suivre, à l’instar d’Ombre Féline, Carpe Alcyonienne ou encore Étoile de Soleil. Fleur de Myrtille avait eu la chance d’être bien entourée dans son enfance, et elle comptait réinstaurer cela dans son Clan, un climat favorable dans lequel « loyauté » et « dévotion » signifiaient quelque chose. Un climat dans lequel les chatons pourraient grandir avec des modèles et des objectifs clairs, qui les mèneraient sur la voie pour rendre sa grandeur au Clan du Crépuscule, si terriblement mis à mal par le raz-de-marée. Elle avait eu trop d’apprentis difficiles pour considérer que les choses étaient satisfaisantes telles qu’elles étaient, et réfléchirait, en conciliabule avec d’autres vétérans et quelques anciens, à des moyens de mise en œuvre d’une politique pérenne qui profite à tous, et offre au Clan toutes ses chances de sortir la tête de l’eau. De nouveau, Croc Noir lui posa la truffe sur le front, dans un geste cérémonieux cette fois, accompagné d’une tirade :

- Avec cette vie, je t’offre l’amour. L’amour de ton Clan, de tes chatons, et des autres, cet amour qui fait que tu donnerais tout pour offrir aux tiens le meilleur des avenirs.

Elle faillit hurler, mais se mordit la langue pour s’en empêcher. Une douleur fulgurante la traversa de part en part, la déchirant en plein de petits morceaux et lui donnant le besoin de se tordre face à la souffrance. Chacun de ses muscles se crispa, mais elle fit tout pour ne pas perdre patte, serrant ses mâchoires à s’en faire mal, jusqu’à ce que la douleur s’estompe. Alors c’était cela, le grand secret ? La douleur par laquelle il fallait passer pour devenir chef ? Probablement un rite de passage pour préparer à celles, quotidiennes, auxquelles l’on faisait face ensuite jusqu’au dernier jour de sa vie. À ces douleurs si vives qu’elles avaient fini par traîner Étoile de l’Aube à la démission.

***

Tandis que Croc Noir reculait, sa compagne avançait. Sa mère était restée élégante, plus étincelante encore que de son vivant, elle venait vers elle sous la nitescence des étoiles. Les reflets roux de son pelage noir ondoyaient entre les fragments d’astre qui peuplaient son corps, et son doux regard perçant venait traverser Fleur de Myrtille de part en part. Revoir ses parents… cela la transportait dans toutes sortes d’émotions contradictoires, entre bonheur et désespoir, elle aurait voulu qu’ils soient encore là chaque jour… Mais ne pouvait s’abattre sur son sort, parce que ceux qui étaient encore là pour elle, avaient besoin qu’elle soit là pour eux.

- Te voilà ici, si peu de temps après ton frère… J’aurais voulu que vous puissiez rester ensemble toujours, comptez les uns sur les autres comme ton père et moi ne pouvions plus être à vos côtés.

- Moi aussi, mais les choses vont rarement ainsi qu’on le souhaite.

- Je suis fière de vous, de tous les trois. Vous avez tant accompli, et ta sœur et toi avez encore tant à accomplir. Vous êtes formidables.

Elle ronronna en esquissant un sourire. Rien d’étonnant à ce qu’un solitaire de passage ait tout abandonné pour elle et ses coutumes. Ombre Féline était une chatte magnifique, Fleur de Myrtille l’avait pensé de ses yeux de chatonnes, et continuait de le penser ce jour, alors qu’elle avait la chance de profiter un peu de sa présence à nouveau. La perdre une seconde fois, à l’instar des huit autres félins présents, serait un déchirement des plus douloureux. Comme l’avait fait Croc Noir avant elle, Ombre Féline combla l’espace qu’il restait entre elles pour venir poser sa truffe sur son front, un geste si doux qui ramena Fleur de Myrtille en enfance… Avant de la foudroyer lorsque la défunte psalmodia :

- Avec cette vie, je t’offre l’attention. Sois toujours attentive à ce et à ceux qui t’entourent, pour anticiper succès et échecs, pour garder un coup d’avance, ne pas te laisser surprendre, et prendre soin des tiens au mieux.

***

Tandis qu’elle se redressait en luttant contre la peine de cette nouvelle vie reçue, déjà Ombre Féline repartait se mêler à la foule. C’était à regret qu’elle la voyait partir, mais le Clan n’avait pas le temps pour ses regrets. Alors elle les balaya, tandis que son frère venait à elle à son tour. Sa perte était la plus récente, et l’une des plus vives dans son cœur. Son absence se faisait encore sentir au camp, dans les regards de sa sœur et les errances de ses neveux. Avec lui, elle avait perdu une partie d’elle-même. À l’instar de Mûre Noire, Étoile du Groseiller avait partagé chaque moment de sa vie, depuis sa naissance, et elle s’était naïvement laissée à croire que cela durerait toujours, comme l’avait dit Ombre Féline. Mais la vie n’était pas faite ainsi, et avait fini par lui arracher violemment, si vite qu’elle n’en avait rien vu venir. Il était supposé avoir huit vies de plus qu’elles devant lui, et pourtant, aucune de celles-là ne lui avait permis de leur survivre. Si bien qu’il se trouvait devant elle, couvert de poussière d’étoiles, tandis qu’elle s’apprêtait à prendre sa place.

- Prend bien soin de mes chatons, s’il te plaît.

- Crois-tu vraiment que j’ai attendu que tu me le demandes ? Plaisanta-t-elle, avant de soupirer d’un ton plus sérieux, tu nous manques tellement…

- Et vous me manquez aussi. Je suis sûr que tu feras une chef formidable pour le Clan.

- Ah oui ? Tu le crois maintenant ? Miaula-t-elle, sarcastique, avec un petit sourire en coin.

- Tu sais bien que je l’ai toujours cru !

- Je plaisante, cervelle de puce, ronronna-t-elle.

- J’espère bien, rétorqua-t-il en esquissant un sourire. Puis, reprenant son sérieux, il prit un air cérémonieux et Fleur de Myrtille s’inclina légèrement pour lui offrir son front, ayant désormais compris la procédure. Avec cette vie, je t’offre la droiture, bien que tu n’en manques nullement. Fais-en bon usage.

Nouvelle décharge de douleur, chaque vie que l’on insufflait en elle lui arrachait une partie de son énergie et la lui renvoyait en un concentré de souffrance qui la prenait de part en part, non sans évoquer le jour où elle avait mis au monde Petit Déclin et Petit Soir.

***

Nuage de Déclin, en l’occurrence, vint prendre la place d’Étoile du Groseiller. Il n’avait jamais été une fierté comme Soir de Printemps, un chaton plein d’espoir en lequel Fleur de Myrtille était certaine de voir un jour un grand guerrier. Mais elle l’avait aimé, elle l’avait aimé de tout son cœur, de cet amour indicible d’une mère à l’égard de son fils. Elle l’avait aimé si fort, plus qu’elle n’avait jamais aimé personne, à l’exception de sa fille. Elle n’avait peut-être pas été la plus investie des mères, elle n’avait peut-être pas été aussi proche de ses enfants que ne pouvait l’être Rapace des Monts, qui les avait élevés, mais cela n’avait rien enlevé à l’amour qu’elle leur portait, et leur avait porté depuis l’instant où ses yeux s’étaient posés sur eux. Alors pour lui, elle fit exception, et vint l’étreindre, soudainement prise de sanglots.

- Nuage de Déclin tu… tu… oh mon chaton, je suis tellement désolée !

- Tu n’y es pour rien Fleur de Myrtille, miaula-t-il en lui rendant son étreinte, rien n’aurait su m’empêcher d’agir ainsi, pas alors que même Soir de Printemps a échoué.

Ce jour avait signé la fin de l’avenir glorieux de sa fille, et la fin définitive de son fils. Cette saison des feuilles vertes avait été la pire saison que Fleur de Myrtille avait traversé, les souffrances s’étaient multipliées, encore et encore, et la vétérane s’était désespérément accrochée à ses tâches de guerrière pour garder la tête hors de l’eau, buvant toutefois la tasse à plusieurs reprises. Elle prit de grandes inspirations pour se calmer, et s’efforça à l’encontre de tous ses instincts de se détacher de son fils. Même s’il était là, devant elle, il n’était pas revenu. Il resterait absent, lorsqu’elle s’éveillerait, et d’autres l’attendraient. D’autres qu’elle ne pouvait faire attendre. Elle déglutit, et recula d’un pas, posant son regard humide sur le jeune mâle, marquant chaque détail de son visage dans son esprit. Jamais elle ne l’oublierait.

- J’aurais aimé que les choses soient autrement, souffla-t-elle finalement.

- Je sais, répondit son fils dans un léger sourire, avant de se rapprocher et qu’elle n’incline la tête. Avec cette vie, je t’offre la légèreté, parce qu’il faut vraiment que tu apprennes à en faire preuve dans les moments difficiles, et dans les autres aussi. La vie a besoin d’un peu plus de légèreté.

Sa voix était chantante, et même si elle ne pouvait voir son visage alors qu’elle encaissait cette nouvelle vie, elle l’imaginait illuminée de son éternel sourire malin, qui l’avait souvent irritée. Elle aurait tout donné pour l’avoir de nouveau dans sa vie, ce sourire, quitte à souffrir quelques désillusions sur les manières de son fils.

***

Leurs dernières lunes partagées n’avaient pas été les plus lumineuses, ils s’étaient éloignés, au fil des erreurs de son ami, au fil de son renfermement, jusqu’au moment fatal où il avait mis fin à tout cela, emportant son père avec lui. Elle avait gardé une amertume à son égard, légère sous la tristesse de l’avoir perdu et la peine ressentie face à la souffrance sur le visage de Rapace des Monts, cette souffrance qu’elle avait ressentie quelques lunes plus tard, en perdant son frère à son tour. Les dernières lunes de la vie de Soleil du Matin avaient été un enchaînement d’échecs, jusqu’à ce qu’il y mette fin et entraîne Aube Filante dans sa chute, comme il avait entraîné Geai des Chênes quelque temps avant. Fleur de Myrtille avait eu pour lui des mots durs, qu’elle ne regrettait pas, mais elle regrettait qu’il n’ait pas davantage essayé de remonter la pente, elle regrettait de l’avoir perdu à jamais, le jour où il avait failli à ses devoirs.

- Bonsoir, Fleur de Myrtille.

Il avait l’air plus apaisé, son visage était moins crispé, ses oreilles ne tournoyaient presque pas sur le haut de son crâne, et son regard ne sondait pas les alentours à la recherche de menaces. Il n’avançait plus avec l’air de porter tout le poids du monde sur les épaules. Tant mieux.

- Bonsoir, Soleil du Matin, ça me fait plaisir de te revoir.

Ils ne s’étaient peut-être pas quittés en bons termes, mais pour autant ils avaient été amis tout le reste de leur vie, grandissant ensemble et partageant presque tout, dans les bons comme les mauvais moments, aux côtés de leurs fratries respectives. Le matou se rapprocha, et posa la truffe sur son front, envoyant une nouvelle décharge dans le corps de la future meneuse.

- Avec cette vie, je t’offre la résilience, pour que tu puisses toujours te relever face aux difficultés, et faire face à la vie la tête haute, comme je n’ai pas su le faire moi-même.

***

Parmi les nombreux apprentis qu’elle avait eus -Nuage du Serpentaire serait son septième- Griffe de Ronce avait été le plus agréable à entraîner. Volontaire, motivé, investi, il n’avait pas été exempt de défaut, d’une arrogance peu commune, mais elle avait vu en lui le potentiel d’un grand guerrier, et avait apprécié chaque lune passée avec lui, alors qu’elle devait en parallèle se battre pour modeler Fracas des Abîmes, et survivre à toutes les épreuves qu’elle traversait alors. Sa mort prématurée, au milieu de tant d’autres qui étaient survenues ce jour-là, l’avait profondément peinée, autrement plus que celles de Nuage d’Aurore et Fracas des Abîmes. Son absence pesait au Clan du Crépuscule, en ces temps troublés.

- Bonsoir Fleur de Myrtille, et félicitations, tu le mérites. J’aurais voulu en arriver là, moi aussi.

-[b] Je sais, et tu l’aurais pu… c’était un jour affreux.


- Oui… ils se turent un instant, et tous les félins présents semblèrent se recueillir au souvenir du raz-de-marée. Puis Griffe de Ronce releva la tête, Fleur de Myrtille la baissa, et la cérémonie continua son cours. Avec cette vie, je t’offre l’honneur, celui dont tout clanique doit être habité, et qui ne t’a jamais quittée. Puisse cette vie te mener plus loin encore dans tes réussites.

***

Elle l’avait à peine connue, mais sut la reconnaître au premier coup d’œil. Elle avait été un modèle de dévotion, restait une icône dans le Clan du Crépuscule, presque… la mère du Clan, à dire vrai. Elle était sa grand-mère, et celle de tant d’autres, entre adoptions et mises bas. Elle avait tout donné jusqu’à son dernier souffle pour ce Clan qu’elle avait servi à la hauteur de ses moyens, et pour cela, Fleur de Myrtille l’avait respectée dès le premier instant. Qu’importe qu’elle ait été la mère d’Étoile Venimeuse, tout ce qu’elle avait fait du reste était extrêmement précieux pour le Crépuscule, et c’était pour la future meneuse un honneur de se trouver désormais devant elle, dont le regard aveugle semblait la voir mieux que tout autre.

- Salutations Carpe Alcyonienne, je suis flattée de faire ta connaissance.

- Tout l’honneur est pour moi, Fleur de Myrtille. C’est un bonheur de vous avoir vus évoluer depuis votre naissance, ton frère, ta sœur et toi. Vous êtes un vrai modèle à suivre pour toutes les autres fratries.

- Merci, répondit-elle en sentant ses oreilles chauffer sous la flatterie. Le compliment la touchait plus qu’elle ne l’aurait pensé.

- Avec cette vie, miaula Carpe Alcyonienne en posant son museau sur la future meneuse comme une habitude -à combien d’autres félins avait-elle fait l’honneur de sa présence ? Sûrement tous les chefs qui avaient précédé Fleur de Myrtille dans le Crépuscule- je t’offre la dévotion, celle que l’on doit toujours avoir pour son Clan, envers et contre tout, même face aux décisions les plus difficiles.

Elle parlait d’expérience et la vétérane ébène le savait, tandis que cette nouvelle souffrance pénétrait en elle avec violence, comme toute nouvelle vie se le devait, comme une mise en garde face aux difficultés à venir.

***

Elle avait été un modèle à suivre, pour Mûre Noire comme pour elle, un exemple de parfait crépusculien, une meneuse, une guerrière, une guérisseuse, digne de ces noms, et qui avait porté ses devoirs par vents et par maux, depuis une position qui semblait avoir été faite pour elle. Fleur de Myrtille l’avait toujours admirée et aimée, et sa perte, quelques jours après celle de ses parents, l’avait laissée vide et abattue, d’autant plus que sa successeuse n’avait pas été du goût de la jeune chatte de l’époque. Pas plus qu’elle ne l’était de la vétérane d’alors.

- Bonsoir Fleur de Myrtille.

- Bonsoir Étoile de Soleil, merci pour ta présence.

- C’est normal, tu feras une grande chef, le Clan a de la chance de t’avoir.

Fleur de Myrtille inclina la tête dans un salut de remerciement, flattée par les paroles de l’ancienne meneuse. Cela la touchait tout particulièrement venant d’elle, qu’elle avait considérée plus jeune comme la chef parfaite. Étoile de Soleil en profita pou se rapprocher, et poser sa truffe sur son front.

- Avec cette vie, je t’offre la foi, afin que tu la gardes toujours en toi et la transmettes à tes camarades, comme il se doit d’être fait pour ne jamais perdre de vue la voie des Clans.

***

De nouveau, Étoile de l’Aube s’avança. S’il était mort sous le nom d’Aube Filante, elle ressentait face à sa prestance retrouvée la nécessité de lui donner à nouveau son nom de chef. Il avait été son mentor, son ami, son meneur, l’un des félins les plus importants de sa vie, et son absence continuait de se faire sentir chaque jour, lorsqu’elle recherchait des conseils ou simplement un ami à qui parler. Il lui manquait, au moins autant qu’il manquait à Rapace des Monts. Elle aurait tant voulu qu’il soit là encore, au sein du camp du Crépuscule, pour lui apporter son soutien dans les lunes à venir, l’avoir à ses côtés dans ce nouveau rôle qui lui incombait, et qu’il avait lui-même tenu avant Étoile du Groseiller.

- Ta présence manque cruellement au Clan.

- D’autres sont là pour le servir, c’est ce qui importe.

- Eh bien tu me manques cruellement, dans ce cas.

- Tu me manques aussi, mais j’espère qu’on ne se retrouvera pas de sitôt. Je suis ravi que tu en sois arrivé là, le Clan est entre de bonnes pattes. Il s’approcha, et elle s’inclina une neuvième fois face à un étoilé pour recevoir cette dernière vie et devenir tout à fait chef du Clan du Crépuscule. Avec cette vie, je t’offre la sagesse, fais-en bon usage.

***

Les neuf félins qui lui avaient remis ses vies se tenaient face à elle en arc de cercle, brillant des étoiles qui arpentaient leurs pelages, leurs yeux reflétant celles qui dessinaient le ciel. Derrière eux se trouvait une multitude d’autres défunts, venus assister à la montée d’un nouveau meneur de leur Clan, sur lequel ils continuaient de veiller chaque jour, ainsi que tout crépusculien se devait de le faire.

- Je te salue par ton nouveau nom, Étoile de Myrtille, scanda Étoile de l’Aube, ton ancienne vie n’est plus. Tu possèdes désormais les neuf vies d’un chef, et le Clan des Étoiles te confie la protection du Clan du Crépuscule. Défends-le bien, veille sur les jeunes et les anciens, honore tes ancêtres et les traditions du code du guerrier, habite chacune de tes vies avec fierté et dignité. Nous nous reverrons, mon amie, mais en attendant, il est temps que tu retournes auprès des nôtres.

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Etoile d'Argile
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Etoile d'Argile


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MessageSujet: Re: La Cénote aux Étoiles La Cénote aux Étoiles - Page 4 Icon_minitimeDim 14 Avr - 1:48

Ecume d’étoile au bord des terres
Suspendue sans un souffle
Moussant dans le ressac




ASCENSION D’UNE ÉTOILE COULÉE DANS LA ROCHE
Petite Boule devient grande.


Comme beaucoup des choses qui se passaient dans sa vie et pour lesquelles Boule s’appliquait à amorcer les possibilités, à générer l’étincelle du possible, tout se précipitait vers l’avant et échappait à son contrôle. Tout se produisait bien plus vite que prévu et, à l’âge de 20 lunes, Rivière d’Argile s’apprêtait à devenir meneuse. Elle était habituée au rythme terrifiant du passage de la mort au sein du Clan : il y avait à peine le temps d’honorer les défunt.e.s qu’il fallait se relever prendre leur place. Nommer leur succession, perpétuer le cycle. Répéter des rituels ancestraux dont plus personne n’aurait su raconter la source. Ses fantasmes s’apprêtaient désormais à entrer dans le monde réel : de fille de traître, elle était devenue lieutenante et, demain, à l’aube, serait cheffe de Clan. Personne ne pourrait plus contester son autorité et plus jamais, ô grand jamais, Boule ne serait “que la fragile soeur” de Golem des Mers et Coeur de Glace. On les oublierait eux, mais, elle, rentrerait dans l’histoire.
Alors en dépit de la mort de son mentor, Rivière d’Argile ressentait une profonde brûlure émaner de son poitrail, venant de très loin et consumant le tissu de ses rêves que son pèlerinage achèverait de dévorer. L’appréhension commune probablement à toute une volée de lieutenant.e.s ne la grignotait pas d’inquiétude : contrairement à la plupart, elle marchait vers la Cénote aux Étoiles en en connaissant déjà le trajet et en ayant de son côté la prémonition qu’Étoile Acharnée avait reçu lorsqu’il avait fallu nommer un ou une remplaçante à Chimère Maudite. L’ancienne lieutenante aurait été une candidate idéale au poste, maintenant que Rivière d’Argile réfléchissait activement à sa succession à elle, si la guerrière n’avait pas été encore convalescente.

Tout le trajet durant, pas le moins du monde troublée par la gestion du camp en son absence maintenant qu’elle devenait indispensable à ses camarades, Rivière d’Argile s’absorba : qui serait le ou la lieutenante du Clan de la Nuit ? Malgré que personne ne se soit opposé au choix d'Étoile Acharnée lorsqu’il l’avait choisie, certain.e.s chat.te.s avaient montré des réticences -notamment Salamandre Enflammée dont la réaction avait été assez vive pour attirer l’attention sur lui. L’esprit de la féline se focalisa sur le matou de suie : les babines étirées en un mince rictus, elle franchit d’un bond un tronc recouvert de mousse et de champignons dont l’état de décomposition avançait lentement. Sa fougue et son ambition auraient besoin d’être canalisées, domptées : Rivière d’Argile était plus jeune que lui -peut-être l’une des plus jeunes meneuses que le Clan de la Nuit ait jamais connu-, et elle se l’imaginait très bien contester ses ordres et défier son autorité régulièrement pour mettre à mal sa légitimité. Non que cela l’inquiétait : mais cela risquait d’inspirer, et le défi que représentait la domestication des contradictions l’excitait… beaucoup.
Puis le visage de Neige Sibylline s’invita : elle était un choix assez évident, à vrai dire. Une vétérante à ses côtés serait gage de bonne volonté, invitant à penser que Boule avait conscience de ses lacunes et aurait l’humilité de s’entourer de fauves plus expérimentés pour l’aider dans sa guidance. La guerrière rousse n’avait jamais montré de signes ostensibles d’ambition non plus -un point rassurant. Mais l’absolument flagrant constat que rien ne serait surprenant ne viendrait de sa part ennuyait déjà Boule. Neige Sibylline était une parfaite Nuiteuse, fidèle au Code du Guerrier, droite, loyale à sa famille, peu démonstrative, avec un esprit logique et efficace. Des qualités de conseillère lorsque cela serait nécessaire, diplomatique très probablement, mais pas de quoi stimuler la future cheffe.
Un autre visage s’imposa alors que, devant les yeux de Rivière d’Argile, les courbes du monticule forestier où l’entrée terrestre de la Cénote se dessinaient. La chatte avec laquelle elle était déjà venue ici. Chevêchette des Rocheuses, lieutenante ? Boule riait encore lorsqu’elle commença à descendre dans les entrailles de la caverne, Égide Sacrée sur les talons lui demandant avec hésitation si tout allait bien. Elle balaya la question de la guérisseuse d’un battement de queue. Ce serait amusant, quand même, rien que pour sa réaction.

Et puis, s’allongeant enfin en soupirant de soulagement de pouvoir reposer ses pattes du long périple, la féline neige et poussière lappa l’eau de la surface de l’étang iodé sur la consigne de sa guérisseuse, s’abstenant de lui miauler qu’elle savait déjà à peu près comment faire -on a plongé dans l’eau pour rien…



*       *  
*


Quand elle rouvrit les paupières, nulle arête rocheuse du Massif de l’Espérance à l’horizon. Ce n’était pas le territoire du Clan de la Nuit, ni l’intérieur de la tête de Chevêchette des Rocheuses. C’était absolument nouveau, inédit, et à l’image de ce que les adultes avaient toujours fait fantasmer dans sa tête de chatons : Boule avait l’impression, sans avoir jamais posé les pattes sur les landes du Clan des Étoiles, qu’elle avait toujours su à quoi cela ressemblait en vrai. Tout y était : le halo argenté et la nuit claire dévoilant des landes paisibles à l’herbe balayée par un vent tiède, presque chaud, qui portait des senteurs fleuries et de gibier abondant. L’eau à la gueule, la jeune guerrière fit ses premiers pas en tournant sur elle-même, capturant tout des yeux, cherchant une silhouette ou un mouvement vers lequel s’orienter. Mais il n’y avait personne. Est-ce que… ? Son esprit commençait à s’affoler lorsqu’une voix s’éleva dans son dos et fit bondir son cœur. Elle fit volte-face pour s’abîmer instantanément dans la paire de prunelles rouges qui l’observait calmement.

Tu as bonne mine, Étoile Acharnée, lui adressa-t-elle en se rapprochant de son défunt mentor, sincèrement ravie qu’il soit le premier chat qu’elle rencontrait ici. Ça fait plaisir à voir.

Cela veut dire que je suis au bon endroit. Elle avait espéré que ce soit lui qui lui apparaisse et vienne la chercher. Cela semblait être dans la véritable logique continuité des choses.

Tu es effectivement au bon endroit, je t’attendais,” lui répondit-il en soutenant son regard. Même dans la mort, Etoile Acharnée conservait son expression émoussée et neutre, cette espèce de prestance froide et de recul perpétuel dans les hauteurs de son propre esprit. Un aigle ayant niché ses émotions au plus haut du plus grand pin de sa pinède mentale. “Tu as su réagir face à la nouvelle de ma mort et être réactive. Tu sauras guider le Clan de la Nuit pour les lunes à venir. Maintenant, suis-moi. Ton baptême va commencer.

Flattée par ces compliments inattendus, Boule remua les oreilles et suivit le matou tigré sans rechigner, curieuse de ce qui l’attendait. Une brise lui porta une vague d’odeurs nouvelles aux narines et la jeune chatte tendit aussitôt le cou pour voir les silhouettes apparaître par-dessus l’épaule du défunt meneur. Plusieurs contours nimbés d’argent s’agitaient et, aussitôt qu’elle les aperçut, leurs murmures parvinrent à ses oreilles. Étoile Acharnée s’écarta alors, révélant aux yeux curieux de la jeune chatte une assemblée d’ancêtres dont les prunelles se braquèrent sur la nouvelle venue. Agitant les oreilles et sentant le bout de sa queue tressauter, Boule les dévisagea avec une certaine avidité. Qui étaient-iels, celleux qui avaient montré à Étoile Acharnée qu’il devait la désigner, elle, pour sa succession ? Qui devait-elle remercier d’un regard, reconnaître d’un échange silencieux, tacite, évident ? Plusieurs silhouettes lui paraîssaient étonnamment familières alors qu’en son for, Rivière d’Argile était persuadée de ne les avoir jamais vues de sa vie. Était-ce les contes, les histoires qu’on lui avait narré qui s’étaient imprimés dans son esprit et lui permettaient de reconnaître les fauves dont elle avait entendu parler ? Il y avait notamment ce grand chat au pelage épais noir et cendré et au regard chaud, ambré, dont le nom s’imposa à son esprit : cela devait être Étoile du Phoenix, le meneur qui avait dirigé les Nuiteux.ses juste avant Étoile Acharnée. Intriguée, Boule mit quelques instants à se détacher du regard du matou qui soutenait son observation sans broncher. A ses côtés, Étoile Acharnée prit la parole.

Rivière d’Argile, je vais t’offrir ta première vie. J’ai cru en toi en te nommant ma lieutenante et ai appris que tu es déjà venue ici avec Chevêchette des Rocheuses.

A cette mention inattendue, l’intéressée sursauta et ouvrit grand les paupières, prise sur le fait et ne pouvant démentir l’omniscience du Clan des Étoiles. Cette escapade était demeurée secrète : aujourd’hui, en-dehors de Boule, Chevêchette des Rocheuses et les ancêtres étoilés, toujours personne n’était au courant. Mais s’il l’avait su de son vivant, qu’en aurait-il fait ? Sa lieutenante, supposée figure d’exemplarité, avait commis une faute tout aussi exemplaire en conservant par la suite son rôle pondéré, comme si rien ne s’était jamais passé. Plongeant dans les yeux rouges d’Étoile Acharnée, la guerrière chercha la trace de son rejet. Devine-t-il la profondeur de ma supercherie, maintenant ? Chevêchette des Rocheuses savait, depuis cette visite scandaleuse, combien Boule se moulait et jouait en permanence les rôles qu’on souhaitait la voir prendre. Elle avait senti sa capacité à se fondre et à anticiper. Elle comprenait que sa camarade était animée par l’ambition plus que par n’importe quelle autre émotion. Alors qu’en ferait Étoile Acharnée ?

Je suis prêt à t’accorder une seconde fois ma confiance, répondit-il comme s’il lisait ses questions intérieures. Tu n’es pas mauvaise, on commet tous et toutes des erreurs, alors je t’accorde la justesse.

Quelque chose d’étrange se produisit lorsque son mentor colla sa truffe sur son front, déposant symboliquement sur sa tête cette première et nouvelle vie. Un flash éblouissant éluda temporairement l’assemblée du Clan des Étoiles, remplacée par le visage d’une seule chatte. Sa douceur frappa l’esprit de Boule qui se sentit attirée par les reflets de ses yeux myosotis ; mais son expression se tordit d’un éclair de douleur et rompit l’illusion de sérénité. Boule recula d’un pas tandis que la belle féline gémissait, muette, d’une douleur intérieure qui semblait insoutenable. Sans prévenir, celle-ci se jeta sur elle et alors que Rivière d’Argile bandait les muscles pour bondir de côté, le sol se déroba sous les pattes de l’inconnue qui se retrouva en un battement de paupière en chute libre. Seule l’hébétude sur ses traits demeura, remplaçant la colère et la douleur d’un masque de surprise et d’incompréhension. Et, lorsqu’elle tourna la tête de gauche à droite pour chercher de l’aide, la Nuiteuse sursauta une seconde fois en découvrant Étoile Acharnée, le souffle haletant, la mine déchirée, le pelage en bataille… et les griffes encore sorties. A ce moment seulement de tout petits miaulements s’élevèrent : en découvrant les chatons qui pleuraient à quelques longueurs de queue derrière Étoile Acharnée, la vision s’arrêta.
Quand Boule reprit ses esprits, elle était debout, pantelante, les yeux dans le vide et ressentait au plus profond de sa poitrine une souffrance inénarrable. Que venait-elle de commettre ? Comment aurait-elle pu empêcher les choses de se produire ainsi ? Qu’avait-elle fait et qu’est-ce que cela voulait dire d’elle, dorénavant ? Alors elle releva ses yeux bruns vers ceux de son mentor, éberluée, l’observant d’un tout nouvel œil.

Fais-en bon usage, Rivière d’Argile, miaula Étoile Acharnée d’une voix basse qu’elle ne lui avait jamais entendu, entrapercevant au-dela de son visage habituel la toute première pointe de regret qu’elle ait jamais lu en lui. Et sers t’en à bon escient pour juger tes prochains.

Elle aurait aimé lui poser mille questions et lui demander d’aller marcher dans les bois, s’offrir une partie de chasse pour confirmer de cette vision qu’il venait de lui partager. Mais comme toujours, il faudrait composer entre les lignes et tirer ses propres conclusions car il n’y aurait pas d’autres conversations avec le défunt meneur et aucun moyen de bien comprendre ce qu’elle avait vu. Étoile Acharnée reculait pour laisser place à une chatte encore plus petite que lui au pelage scindé en deux couleurs prédominantes : du roux et du noir, barbouillés ensemble par des flaques blanches. Les prunelles vairons de la femelle attrapèrent celles de Rivière d’Argile, l’arrachant à celles du meneur tigré, et elle miaula rapidement :

Je suis tellement contente de faire ta connaissance. J’ai beaucoup suivi ton histoire et j’avoue me réjouir de voir qu’une autre jeune chatte a pris la relève du Clan. Tu as beaucoup à apprendre mais j’ai l’impression que ça n’est pas ça qui va te faire peur.

Comme Boule la fixait en cillant, l’autre sembla percuter et partit d’un rire franc et… frais.

Pardonne-moi, j’ai oublié de me présenter. Je suis Horizon Déchirée et j’étais la lieutenante avant Chimère Maudite. On ne s’est donc jamais connues mais si tu le permets, j’aimerais t’offrir la bienveillance pour veiller à la vie de ton ou tes lieutenants à venir.
- Je t’en prie, ce serait un honneur”, bafouilla Rivière d’Argile en baissant la tête.

La truffe humide d’Horizon Déchiré apporta avec elle le grondement du tonnerre. L’éclatement d’un orage et le déchaînement d’une pluie de fourmillements et de décharges sous sa fourrure firent trembler ses pattes tandis que Boule s’efforçait de recevoir cette vie sans rompre l’échange. Plusieurs flashs de visages apparurent, dont un particulièrement marquant aux prunelles de feu et au visage masqué de noir qui semblait infiniment doux et torturé à la fois. Que se passait-il donc ce soir pour qu’elle voit tant de douceur et de souffrance sur les traits d’inconnu.e.s ? Est-ce que tous les baptêmes de chef.fe.s étaient “à thème” ? Contre elle, Horizon Déchiré gloussa avant de reculer de quelques pas sous l'œil de sa congénère, le sourire aux babines.
Puis, ce fut au tour d’une nouvelle guerrière de s’avancer. Pour le coup, rien en elle ne rappelait quoi que ce soit. C’était une parfaite étrangère à la mine rembrunie qui s’arrêta devant la jeune meneuse en devenir en la toisant durement. Les secondes s’écoulèrent dans un silence qui devint gênant ; si elles se jaugèrent un moment des yeux sans qu’aucune ne se détourne, Rivière d’Argile finit par jeter un coup d’oeil par-dessus l’épaule de l’inconnue pour chercher Étoile Acharnée et lui demander du regard ce qu’il se passait. Mais, ne le trouvant pas, elle reporta son attention sur la grande chatte crème qui finit par se décider à rompre son mutisme.

Je m’appelle Souvenir Immaculé et, comme Horizon Déchiré, je suis morte avant de devenir meneuse. Ce qui est agaçant, mais bon. Par contre, je ne sais pas quelle vie t’offrir parce que j’ai du mal à te cerner, Rivière d’Argile. T’as l’air d’avoir du potentiel et de te retenir d’ex-... (Un chat se racla la gorge dans la foule, coupant la parole à Souvenir Immaculé. Celle-ci se retourna en crachant de frustration avant de se reconcentrer et de faire face à Rivière d’Argile, incapable de contrôler les fouettements de sa queue dans son dos. Cette chatte était très très amusante : flanquée de son rictus, la lieutenante crème et brune l’observa calmement, l’invitant à poursuivre.) Et bien soit, je vais te faire don de la franchise. Ca sera à thème comme ça.

Souvenir Immaculé se pencha en avant un peu abruptement et toucha simplement le sommet de son crâne une fois. L’ironie de cette vie dévora sans aucune pitié les cellules qui composaient Boule. C’était… complètement antinomique. Comme recevoir un coup de pattes arrière en plein ventre sans y être préparé.e. La franchise était loin d’être sa qualité première, même si elle ne se cachait pas ostensiblement non plus de ce que sa convoitise et son pragmatisme froid lui inspiraient au quotidien. Elle avait déjà émis plusieurs remarques qui avaient été assez mal reçues par ses pair.e.s. Mais heureusement, le cataclysme intérieur cessa aussi vite qu’il avait commencé : en revanche, des résidus de douleur continuèrent de lancer dans ses pattes, irradiant comme des nerfs inflammés. Poussant un grognement, Rivière d’Argile se redressa et siffla entre ses crocs :

Compte là-dessus.

Souvenir Immaculé ricanna tout en retournant trouver une place dans la foule. Plusieurs félin.e.s maugréèrent dans les rangs mais impossible de déterminer de qui il s’agissait ; un voile trouble occultait encore sa vue. Les dernières bribes de cette vie-là étaient décidément coriaces.
Un grand mâle brun et noir rompit le rang et s’approcha de la baptisée. Il dégageait une aura de puissance difficile à définir entre la brutalité et la contenance. Tout, en lui, criait qu’il était maître de son corps. S’il n’avait pas l’air hostile, la méfiance pinçait en revanche ses babines et lui aussi mit quelques instants à sortir de sa réflexion.

Je me nomme Puissance du Berserk, s’annonça t-il. Tu me rappelles un peu quelqu’un mais puisque je ne peux plus me fier à mon jugement, je t’offre ta prochaine vie en plaçant ma confiance en mes camarades. Si eux ont cru en toi, alors voici ce qui m’a fait défaut : la clairvoyance.

Rivière d’Argile eut un haussement de sourcils surprit et recula d’un pas alors qu’il faisait mine d’esquisser un mouvement vers elle. Il se redressa, interloqué.

Tu voudrais m’offrir une vie sans croire en moi ? L’interrogea t-elle frontalement. A quoi bon si tu ne reconnais pas ma valeur ?

Puissance du Berserk était carrément surpris. Il prit le temps de dévisager sa cadette effrontée alors que, dans la foule, quelques chat.te.s s’offusquaient de cette façon de rompre le rituel. “Mais pour qui elle se prend ?” S’emporta une voix.

J’ai accordé ma confiance aux mauvaises personnes, par le passé, miaula Puissance du Berserk dont la voix fit taire celle des autres dans l’assemblée. Il soutenait maintenant le regard de Rivière d’Argile avec plus de vie et d’intérêt. Cela m’a conduit à mourir trahi.

Dans la foule, des phrases jaillirent : “Louve assassine !”, “Traîtresse”, “Nous n’avons pas su la garder dans notre lumière”, “Elle était condamnée de toute façon”. De qui parlaient-iels ? Les yeux de Boule devaient transparaître sa curiosité puisque Puissance du Berserk se décala d’un pas pour revenir devant ses yeux et réattirer son attention.

Tu n’es pas là pour ça, la rabroua-t-il en fronçant les sourcils. Veux-tu recevoir ma vie ?

Opinant du chef, Rivière d’Argile présenta son front, cou tendu vers la large face du guerrier qui l’effleura, l’innondant soudain de son odeur. La jeune chatte ne sut qui de son parfum ou de sa vie lui arracha ses frissons mais elle frémit de la base de sa queue jusqu’à la pointe de ses oreilles, complètement transie par l’intime conviction de pouvoir tout voir, tout sentir, tout contrôler. Elle s’était déjà sentie compétente par le passé : là, elle se sentait puissante. Elle regarda son aïeux partir en réalisant soudain la raison de l’effet étrange qu’il opérait sur elle. La vertigineuse flagrance que malgré toute sa puissance physique il n’avait pas été plus compétent que d’autres pour survivre lui rappelait Golem des Mers et Coeur de Glace, avec leur avantage anatomique naturel qui, pour autant, n’en avait pas fait des lieutenants avant leur lacunaire et grassouillette soeur. Le physique ne fait pas tout, Puissance du Berserk. Tu as été aussi leurré que mes frères, lui adressa-t-elle en pensée, voyant du coin de l'œil qu’une autre silhouette, déjà, s’approchait.

Bienvenue, Rivière d’Argile.

Elle dut lever le menton pour rencontrer le regard de son nouvel interlocuteur : un très grand mâle au pelage noir comme la nuit et aux yeux d’un bleu… glacial. Il n’était pas venu rigoler avec elle comme Souvenir Immaculé ou Horizon Déchiré. Et quelque chose lui disait qu’il n’était pas non plus venue la combler de pardon et d’éloges comme Étoile Acharnée ou Puissance du Berserk.

Tu me fais penser à ton grand-père, continua le matou en arrachant des hoquets à ses compair.e.s étoilé.e.s.
- Étoile Polaire, ne mentionne pas son nom ici ! Gronda une chatte en le fusillant du regard. Ce traître a fait assez de mal comme ça. Cessons de faire vivre son histoire.

Qui qu’était cette chatte noire, elle fut assez immédiatement antipathique à Boule dont le regard gagna brusquement en intensité.

S’il vous plaît, arrêtez. Ce n’est pas parce que son sang coule dans nos veines que nous sommes à son image, protesta une autre féline à l’épais pelage brun et crème. N’oubliez pas pourquoi cette chatte est ici.

Son intervention sembla calmer tout le monde -à l’exception d’Étoile Polaire qui était demeuré imperturbablement calme. Et cette stature rappela agréablement à Boule celle d’Étoile Acharnée. Ces deux chefs étaient faits du même bois.

Tout n’est pas écrit ici, reprit-il en désignant du menton le territoire du Clan des Étoiles. Et rien n’est déterminé ici non plus. (Et effleura de sa queue l’épaule de la Nuiteuse. Parlait-il de… son sang ?) Tu peux écrire ton histoire puisque tout n’est pas immuable. Alors, pour que tu transmettes cette connaissance à tes camarades, je t’offre la foi en ton prochain.

Cette cinquième vie lui fit l’effet d’une rafale glacée sur la truffe. Rivière d’Argile voulut reculer mais se sentait collée au museau du meneur d’ébène. Elle eut beau tirer, ses pattes restèrent fichées dans le sol : alors elle sortit les griffes pour affronter cette tempête et, lorsque les bourrasques se calmèrent, elle sentit une vague de sérénité et de réconfort réchauffer petit à petit son corps. C’était proche de la confiance en soi après un effort physique intense : elle venait de surmonter une montagne, une tempête, une vie. Clignant une fois des paupières en signe de compréhension, Étoile Polaire sourit et inclina la tête pour la saluer avant de se retirer.

Fais-en meilleur usage que n’aurait pu en faire ton grand-père”, lui souffla-t-il si bas qu’elle seule l’entendit.

Quoi ?
Les yeux ronds comme des billes, Rivière d’Argile voulut le retenir et lui demander de s’expliquer mais la chatte crème et brune qui avait pris sa défense et calmé la foule des ancêtres se précipita sous son museau, enfouissant son visage dans le cou de la Nuiteuse. De surprise en surprise, ne sachant comment réagir à cet élan de démonstrativité de la part d’une parfaite inconnue, Boule se figea et attendit, les paupières battantes et guettant, du coin des yeux, les réactions qu’elle anticipait du Clan des Étoiles. Mais, étonnamment, personne ne dit rien. La féline touffue quitta enfin son cou et se présenta sous le nom de Berceuse des Étoiles.

Étoile du Golem était mon père, commença-t-elle comme pour expliquer la scène précédente. Mais tu es différente de lui, toi aussi. Tes frères s’en rapprochent plus mais toi, tu as su trouver ta propre voie et regarde où cela t’a amené ! Je suis fière de pouvoir assister à l’évolution de ma famille et sache que je veillerai toujours sur toi, désormais. Je trouve que l’ambivalence serait une belle vie à t’offrir : je sens que tu sauras chercher les points de rupture, les solutions qui ne sont pas évidentes, celles que l’on attend pas fatalement.

Une nouvelle vision accompagna la sensation de la truffe sur son crâne. Boule avait l’impression de n’avoir pas le temps de souffler : la fatigue s’accumulait dans ses pattes à une vitesse vertigineuse et, très vaguement, elle eut conscience à ce moment-là du baptême qu’à son réveil, il faudrait encore rentrer. Ses yeux glissèrent sur ses flancs dans lesquels elle sentait une tension particulièrement intense et quelle ne fut pas sa surprise de se découvrir au dernier stade de gestation.
Q… quoi ??
Poussant un cri d’horreur, elle se fixa sans comprendre, sentant monter en elle un trop plein d’émotions qui menaçait d’exploser. Il fallait… il fallait que ça sorte ! Tout de suite !

Non-non-non ! Je n’en veux pas ! Feula t-elle en reculant sous la truffe de Berceuse de l’Univers. Ils vont tout ruiner !

Mais c’était trop tard. Le travail avait commencé et elle était désormais allongée dans une flaque de liquides chauds et poisseux, mélange de sueur, de sang, de placenta éclaté. Sa respiration n’était plus qu’un mince filet tandis qu’autour d’elle, une brume noire commençait à grimper et éclipser toute lumière. Elle mourut au terme de la mise bas dans le souvenir de Berceuse de l’Univers et reprit connaissance dans une grande inspiration. Sur son front, la truffe de la défunte. Elle n’avait pas reculé. Tout s'était passé dans sa tête. Boule regarda instinctivement ses flancs et soupira de soulagement en constatant qu’il n’y avait aucune rondeur inhabituelle. Elle n’était pas gestante.

Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Coassa-t-elle en se détachant de Berceuse de l’Univers, sentant bien qu’elle ne parvenait pas à effacer le reproche de ses yeux bruns.
- Tu as partagé mes derniers souvenirs, lui répondit l’autre dans un murmure, les yeux dans le vague, replongée dans ces moments douloureux. Tu sais, tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Tu pourrais regretter de n’avoir jamais de chatons…

A ce moment précis, il y eut un mouvement de foule : comme si toutes les silhouettes ondulaient d’un même frisson propagé en une fraction de seconde à l’ensemble des chat.te.s présent.e.s. Étoile Acharnée se matérialisa aux côtés de Berceuse de l’Univers, une lueur réprobatrice dans ses yeux de sang. Ca aussi, c’était nouveau… Le contemplant sans comprendre, spectatrice, Boule perçut sa voix comme enrobée dans du coton : elle devinait qu’il grondait, mais elle n’entendait que des murmures déformés, ébranlée par la vision et les paroles de Berceuse de l’Univers qui résonnaient comme un augure.  

Ce n’est pas le moment, miaulait Étoile Acharnée.
- Ce n’est pas juste, rétorquait Berceuse de l’Univers en tenant tête au défunt meneur.
- Nous n’avons plus à le contester. Cela n’est pas de notre ressort,” renchérissait Étoile du Phoenix, le chat cendré aux yeux ambrés que Boule avait aperçu plus tôt mais qui ne s’était pas avancé pour lui donner de vie.

Voyant que leur baptisée remuait et peinait à retrouver ses esprits, les ancêtres de jadis finirent par se calmer et, échangeant un dernier regard dont le sens échappa à Rivière d’Argile, se dispersèrent. Une nouvelle féline s’avança, les épaules basses. Cela creva les yeux : elle essayait de paraître légère et bienveillante mais visiblement, la conversation qui venait d’avoir lieu la chamboulait aussi.

Bonjour Rivière d’Argile, miaula t-elle d’une voix douce et profonde. Je suis Lueur d’Obscurité. Désolée pour ce qu’il vient de se passer. Certains maux ne se pansent pas avec des toiles d’araignée et des cataplasmes. J’ai connu ce chat dont on parle et j’ai été trompée par lui. Alors j’aimerais t’offrir le discernement pour te permettre de faire des choix éclairés et bons.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre : posant avec une douceur infinie sa truffe sur le crâne de la petite lieutenante, Lueur d’Obscurité insuffla sa vie au-travers de ses poils, de sa chair et de ses os. Comme si elle voyait à l’intérieur d’elle-même, Boule put sentir et suivre le passage de cette petite lumière dans les ténèbres dans son périple à-travers sa chair pour s’inscrire dans son esprit. En le touchant, elle libéra une onde de choc qui lui hérissa les poils avant de les apaiser d’une brise tiède. Il n’y avait plus de doute : cette chatte, Lueur d’Obscurité, était de son sang. Elle n’eut pas besoin de le dire : c’était sa grand-mère, la compagne d’Étoile du Golem, mère de Golem Polaire. Et elle n’avait su se délivrer du fardeau qui avait été le sien dans ses dernières lunes de vie que dans l’affranchissement offert par la mort. Elle était plus sereine ici, même si le chagrin d’avoir perdu les deux Golems de sa vie ne la quitterait jamais vraiment. J’ai failli perdre le mien, se rappela Boule en échangeant un dernier long regard avec sa grand-mère, acquiesant d’un hochement de tête.

Les choses se passaient si vite que Rivière d’Argile fut surprise qu’encore une silhouette s’avance vers elle pour lui donner une vie. A combien en était-elle ? Cinq ? Six ? Sept ? Ou sa dernière ? Son esprit avait été submergé par le nombre d’informations et de sensations qui s’étaient succédées pendant le baptême, de sorte que les échos de l’altercation précédente se mélangeaient aux yeux vairons d’Horizon Déchiré, aux lambeaux de la vision de la mort de Berceuse de l’Univers et aux propos énigmatiques de Puissance du Berserk. Il y avait de tels sous-entendus que, sans doute, elle se régalerait à les repenser pour tenter de les décoder à son réveil, mais en attendant…
Ses pupilles s’écarquillèrent soudain et son cerveau cessa de penser en reconnaissant le visage de la chatte qui s’avançait. Les pensées se turent. Le monde s’éteignit autour des grands yeux clairs de Pétale d’Azalée. Sa mère, qui était morte emportée par le raz-de-marée alors que Boule n’était apprentie que depuis 1 lune, qui avait élevé ses chatons seule, sans son compagnon, qui n’avait pas pu être sauvée par Nuage de Golem à l’époque, s’avançait avec souplesse et silence. La fille et la mère ne se lâchèrent pas des yeux : Pétale d’Azalée s’arrêta juste devant Rivière d’Argile, détaillant ses traits sous toutes ses coutures, n’émettant pas un son, pas un ronronnement. Les retrouvailles étaient si inattendues que même la jeune guerrière n’osait pas parler. L’émotion lui nouait la gorge. Pourtant, n’était-ce pas évident ? Que s’il y avait bien une occasion pour se revoir, c’était celle-ci ? Puis soudain, le regard de la reine s’illumina et son visage se fendit d’une douceur et d’une tristesse infinie. Elle effleura la truffe de Boule en reniflant pour ravaler son émotion.

Ma fille… Miaula t-elle d’une voix vibrante. Tu es si méritante. Je suis fière de toi, et je suis sûre qu’il l’est aussi et qu’il te le dirait, s’il le pouvait.
- Maman… Je n’ai même pas pensé te revoir ici tellement tout est… enfin, tout a été…
- Je sais, coupa Pétale d’Azalée en venant en aide à sa fille dont les paroles d’embrouillaient. Ton baptême n’aura pas été sans accrocs, Rivière d’Argile, et il n’est pas fini.

Son ton venait de changer. Si brusquement que le visage de Boule se rembrunit aussitôt, interpellé par le sérieux menaçant contenu dans les mots de sa mère. Derrière cette dernière, par-dessus ses épaules tachetées, Boule vit que l’assemblée du Clan des Étoiles remuait un petit peu, comme pour tendre l’oreille et percevoir ce que la reine venait de miauler. Mais que se passe-t-il ici, à la fin ? Tout le monde dû percevoir la question de la lieutenante car quelques murmures s’élevèrent, vite intimés au silence par quelques aïeux et aïeules strictes sur le déroulé du baptême. Pétale d’Azalée les ignora tous.tes mais répondit à sa fille droit dans les yeux :

N’accepte pas, chuchota t-elle. Ne marchande pas ta vie, ma fille, ne cède pas plus à leurs menaces qu’à celles de tes ennemi.e.s.
- De q-...
- Je dois t’offrir une vie, mais pas n’importe laquelle. Rivière d’Argile, tends-moi ton front.

Celle-ci s’exécuta après quelques secondes de réactance, sourcils froncés.

Laisse-moi t’offrir l’esprit de résistance, Rivière d’Argile, chuchota encore Pétale d’Azalée en déposant son museau contre la tête de sa fille. Tu as toujours eu les capacités de faire plier les choses en ton sens. Résiste les fois où ce ne sera pas le cas car ça ne le sera pas toujours, alors tiens bon.

Les miaulements de sa mère étaient si nébuleux que Boule s’interrogea sur le sens véritable de ce qu’elle cherchait à lui dire. Etait-ce réellement une mise en garde pour l’avenir ou une façon de lui transmettre la leçon qu’elle-même avait tiré de la mort de Golem Polaire ? Pourquoi Pétale d’Azalée n’avait-elle pas été plus compréhensible ? Un éclair de douleur à retardement se réveilla soudain dans les pattes de la guerrière qui manqua de flancher ; elle tint bon, laborieusement, sentant ses muscles sur le point de lâcher à tout instant mais tentant de se maintenir contre la truffe de sa mère. Elle grogna sous l’effort, gémissant même lorsque la douleur redoubla d’intensité, plongeant les griffes dans le sol en sentant qu’elle ployait près de celui-ci, écrasée par le poids de la vie que sa mère plongeait en elle. Un voile noir commença à glisser devant ses yeux tandis que ses réserves dégringolaient ; elle allait finir par s’effondrer, à bout de force ; la voix de Pétale d’Azlée retentit alors dans sa tête.

Encore un petit peu, Rivière d’Argile. Tiens bon, c’est presque terminé.

Boule serra la mâchoire, voulant crier mais n’ayant même pas la force nécessaire pour écarter ses crocs, verrouillés les uns contre les autres. Elle puisa dans ses dernières ressources d’énergie pour encaisser la douleur quand celle-ci cessa subitement. Comme ça. La jeune chatte, qui luttait et poussait sur ses pattes pour se tenir debout, se retrouva soudain comme débarrassée du fardeau qui l’enfonçait vers la terre : l’allègement inattendu du poids sur ses épaules lui fit perdre l’équilibre, la résistance contre laquelle elle forçait se volatilisant. Elle manqua de s’effondrer lamentablement devant tout le cortège étoilé et se rattrapa in extremis en pantelant, hors d’haleine, les yeux plissés de douleur. En les revelant, elle croisa le regard de Pétale d’Azalée, qui s’emmura de nouveau de silence et lui adressa un dernier avertissement silencieux avant de rebrousser chemin pour se fondre dans la foule.

Et, sans crier gare, la terre se mit à trembler. Les chat.te.s du Clan des Étoiles crièrent -de stupéfaction, d’incompréhension, d’effroi. Rivière d’Argile appela sa mère avant de se sentir glisser. Ses griffes encore sorties crissèrent sur une pierre sans trouver d’accroche, et elle chuta vers l’arrière la gueule ouverte. Quelqu’un cria son nom.
Feulements de colère.

*

Dans le monde des Clans, les paupières de la lieutenante tressautent et son corps commence à s’agiter de soubresauts. Elle est sur le point de se réveiller -le baptême non clôturé, son nom pas encore prononcé. Son sommeil perturbé, la connexion avec le Clan des Étoiles brutalement fragilisée. De l’autre côté de ses yeux fermés, Boule atterrit au milieu d’une forêt sombre, sur un sol froid et humide, recouvert d’une mousse vert foncé. Aucune odeur n’est plus familière : celles des membres du Clan des Étoiles n’est plus qu’une lointaine fragrance que ce lieu étouffe. La jeune chatte se ressaisit difficilement, sentant son corps peiner à répondre, comme si chaque mouvement manquait de se répercuter sur son corps dans le monde éveillé et menaçait de la ramener là-bas. Elle se concentre, bouge tout doucement, s’efforce de retrouver un souffle plus régulier. Là. La connexion se stabilise, le rêve peut continuer. Mais alors qu’elle commence à chercher un moyen de retourner jusqu’au Clan des Étoiles, émergeant de la brume, deux silhouettes massives s’avancent vers elle et la recouvrent d’ombre.

*

Elle n’avait jamais vu le chat dont le visage se découvrit de ses ténèbres pour montrer ses couleurs -mais elle le reconnut à la description que sa mère lui avait faite bien des lunes auparavant. Aucun doute possible : ce colosse au pelage brun, roux et blanc était son père. Golem Polaire. L’autre matou, encore plus grand et plus large, demeura en retrait, seul l’éclat perçant de ses yeux ambrés traversant le masque de brume qui flottait autour de son corps.

Ma fille…” Souffla-t-il en la couvant d’un regard qui planta Rivière d’Argile sur place.

Combien de fois avait-elle rêvé voir cette expression bien précise sur les traits de ses compagnons et compagnes de Clan ? Combien aurait-elle accompli pour que le visage de Golem des Mers partage les traits qu’il avait en commun, avec autant de perfection et de détail, avec son géniteur ? C’était comme le voir l’observer ainsi, avec amour et reconnaissance, par le biais des traits de Golem Polaire.

J’aurais aimé passer par une voie plus conventionnelle, miaula-t-il comme pour s’excuser. Désolé de te faire prendre de si grands risques pour te voir. Pétale d’Azalée me couvre, elle m’a parlé de ton baptême, c’est elle qu’il faudra que je remercie pour cette opportunité. Je sais que cela ne se fait pas, mais… (Il parut se troubler, écartant les pattes comme pour s’il venait de prendre un coup et le soutenait. Ses oreilles frétillèrent et ses yeux se voilèrent quelques secondes avant qu’il ne recouvre ses esprits.) Le temps nous est compté, gronda Golem Polaire. Je vais devoir faire vite alors que je n’ai même pas le temps de se retrouver… Je ferai avec. Rivière d’Argile, ta mère te l’a déjà dit, mais je suis fier de toi aussi. Tu as dû entendre toutes sortes d’histoires sur moi et, pour être parfaitement franc avec toi, je ne sais même plus le vrai du faux. Golem des Mers et toi serez toujours mes enfants, même si vous avez réussi à vous débarrasser de l’image maudite de mon héritage. Alors j’aimerais t’offrir ta dernière vie avant de laisser tes autres ancêtres venir te récupérer. Est-ce que tu accepterais mon don ?

Boule, qui était restée silencieuse, absorbée dans la contemplation des expressions du visage de son père, qui s’était imprégnée de ses traits forts et l’avait écouté parler sans l’interrompre de questions, revint à ses yeux verts.

J’aurais aimé te ressembler un peu plus, répondit-elle lentement, à côté de la plaque. Je n’ai que le brun de ta fourrure, c’est tout. J’aurais aimé posséder un peu plus de ta carrure et de tes capacités. Je constate que ça a toujours été de famille d’être aussi grand et massif, mais je vois bien que c’est réservé aux “Golem”.

Son père se troubla, clignant des yeux. Boule sourit et pencha la tête de côté, soutenant son regard perdu.

Peut-être que ça a été mieux ainsi, après tout. Je ne dirai pas non à cette vie que tu me proposes, Golem Polaire. Je veux bien au moins hériter ça de toi, mon père.

Le grand guerrier sembla se détendre à cette réponse. Il hocha de la tête solennellement et n’eut pas besoin de demander à sa fille de se baisser : ce fut lui qui, la dominant en taille, se pencha pour lui effleurer le front.

Alors voici le pouvoir de changer les choses.

*

Boule rouvrit les yeux dans la combe où elle était initialement arrivée. Toustes celleux qui, du Clan des Étoiles avaient participé à son baptême étaient là. Le souvenir de la vie laissée par Golem Polaire s’estompait déjà.

Avec qui étais-tu, Rivière d’Argile ?” Demanda Étoile Acharnée qui venait de se matérialiser à ses côtés et la scrutait avec un mélange d’inquiétude et d’une appréhension froide, dans l’expectative de sa réponse.

A quoi bon mentir ? L’odeur de son père flottait encore tout autour d’elle, même elle la sentait.

Avec mon père,” miaula t-elle à voix haute pour que tout le Clan des Étoiles l’entende.

En un instant, le silence se mua en brouhaha. Le mécontentement se répandait plus vite qu’une vague de raz-de-marée sur la mer de fourrures. Avec un détachement qui troubla le félin dressé à ses côtés, Boule contempla la scène sans rien ajouter ni laisser paraître. Une partie de son cœur aurait aimé rester là-bas, près de son père, au moins quelques heures de plus pour pouvoir discuter, faire connaissance. Mais elle avait été rattrapée par le Clan des Étoiles sitôt la vie de son père dispersée en elle. Iels ne le lui accorderaient pas.  

Que s’est-il passé ? Insista son mentor qui avait pris un pas de recul.
- A ton avis ? Il m’a donné ma dernière bénédiction.

Elle avait miaulé cela sur un ton impatienté, contrariée par la tournure des événements. Pourquoi son baptême se passait-il ainsi ? Pourquoi tant de mystères ? De chemins détournés ?

Rivière d’Argile, tonna une grosse voix qui recouvrit les miaulements de l’assemblée et la fit taire. L'interpellée se tourna vers Étoile du Phoenix, une lueur agacée dansant dans ses yeux bruns. Cela n’était pas sensé de produire ainsi. Golem Polaire a pris la place d’un représentant officiel du Clan des Étoiles. Nous avons donc besoin de nous assurer que tu comprennes que la vie de ce félon n’aurait jamais dû t’être offerte. Nous ne pouvons pas la récupérer. Alors promets au moins que tu n’emprunteras jamais sa voie, ici, devant nous, pour que nous concluions un pacte solennel. Engage-toi à ne plus le revoir et tu recevras notre bénédiction finale ainsi que ton nom de cheffe.

... Quoi ?
Incrédule, la guerrière observa Étoile du Phoenix, gueule béante. Avait-elle bien entendu ? Un grondement commença à lui monter à la gorge -même si ce chat, plus grand qu’elle de deux têtes, la toisait dorénavant avec méfiance et que s’installait dans sa posture une froideur implacable. Le feu et la glaise s’affrontèrent un instant avant que Boule ne réussisse à articuler entre ses mâchoires serrées :

Pourquoi ce chantage ? N’ai-je pas démontré ma loyauté et ma dévotion à mon Clan pour me tenir devant vous ce soir ?
- Là n’est pas la question, rabroua le matou de jais sans se démonter. Tu as accepté une vie d’un membre de la Forêt Sombre. Nous devons t’entendre dire que tu ne tourneras pas le dos à la lumière. Étoile du Golem et Golem Polaire ont été des traîtres au Clan de la Nuit et tu es leur descendante directe : si jusqu’ici tu as été loyale à ton Clan et au Code du Guerrier, il n’est pas exclu que ce genre d’événements t’en détournent.
- C’est ridicule, protesta-t-elle -trop vite-, se maudissant instantanément de perdre son sang-froid. Que lui arrivait-il ? Jamais Boule ne s’était emballée ainsi et avait cessé de mesurer ses paroles. Je ne me détournerai pas, tenta-t-elle de se reprendre. Mais vous ne pouvez pas me demander de renier un chat que je n’ai pas connu. Je ne ressens pas de honte à avoir un tel père : c’est grâce à son héritage que je me suis battue aussi férocement tout ce temps pour mon Clan.

Sa réponse sembla mitiger la foule. Si, jusqu’ici, tout le Clan des Étoiles était un bloc uni opposé à ce qu’il venait de se passer, quelques âmes semblèrent hésiter aux paroles de la guerrière. Mais pas Étoile du Phoenix, maintenant rejoint par un autre chat gris tacheté que Rivière d’Argile n’avait encore jamais vu.

Elle a déjà trahi notre confiance en acceptant la vie offerte par Golem Polaire. Nous ne pouvons pas laisser passer ça, asséna-t-il sans même regarder la féline qu’il assassinait de ses mots et qui se hérissait à côté de lui.
- Nous lui avons accordé des vies, contra Berceuse des Étoiles.
- Les vies se retirent tant qu’elle est encore sur nos terres. (Cette fois, c’était Lueur d’Obscurité qui venait de parler, d’une toute petite voix étouffée, comme si elle n’osait pas véritablement assumer la portée de ses paroles.)
- Mais… et la vision de l’argile dans la faille ?

Bientôt, tous.tes parlèrent en même temps, évinçant Rivière d’Argile du choix qui se débattait sous ses yeux encore éberlués. Iels parlaient de son destin, de lui laisser sa chance ou de la lui retirer avant qu’elle ne se réveille, avec une désinvolture qui lui faisait certainement blanchir des poils roux à la vitesse de la lumière. Elle ne pouvait pas laisser les choses se passer ainsi ! Il fallait qu’elle promette sur ce père qu’elle n’avait jamais connu et qui n’avait, de toute façon, jamais eu la moindre influence sur sa vie. Il fallait qu’elle rejette la vie que Golem Polaire lui avait attribuée pour montrer patte blanche !
Au milieu du mouvement des pelages de celleux qui discutaient, une trouée : les yeux bleus de Pétale d’Azalée attrapèrent instantanément ceux de sa fille qui regardait par là et, pour la seconde fois de la soirée, tout le monde se mit à tourner au ralenti en-dehors de ce regard cristallin que rien n’altérait. Boule ouvrit la gueule mais rien ne sortit. Elle la referma. “Laisse-moi t’offrir l’esprit de résistance.” Le message lui revint, limpide maintenant. “N'accepte pas, ne marchande pas ta vie ma fille.” Elle cligna des yeux. Remit le monde en marche à vitesse normale autour d’elle et fut de nouveau happée par la cacophonie des voix des ancêtres du Clan des Étoiles qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Revit l'amour et la reconnaissance, dans leur expression la plus authentique, dans les yeux verts de Golem Polaire.

Je ne promettrai pas.

A ces mots, tout le monde se figea sur place. Une à une, toutes les têtes se tournèrent vers elle et Boule les affronta toute individuellement, une à une, jusqu’à ce qu’elle croise, en dernier, les prunelles sanglantes de son ancien chef et mentor, Étoile Acharnée. Elle s’était préparée à y lire ce qu’elle y aperçut. Il n’eut pas la force de le lui dissimuler. Elle le regarda quelques secondes encore avant de s’expliquer :

Ce qui s’est passé avec Golem Polaire ne changera rien à ma détermination à mener le Clan de la Nuit vers le meilleur, à en faire un Clan fort et un Clan fier. Mais je ne renoncerai pas à mes origines pour cela. Parmi mes congénères, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ont un secret à défendre ou une honte à cacher. Je serai là pour les exposer et les confronter, pas pour leur demander de renoncer à cette part d’eux ou d’elles, mais pour les dépasser. Laissez-moi vous prouver que vous avez fait le bon choix. Je ne vous décevrai pas, mais je ne promettrai pas non plus.

De nouveau un grand silence. Quelques chat.te.s reculèrent mais Berceuse des Étoiles finit par s’avancer d’un pas et relever la tête vers celle de Boule. Celle-ci, le coeur battant, espérant que son discours avait marché, attendit le miaulement de son aînée.

Je t’avais prévenue que tu pourrais regretter de ne jamais avoir de chatons,” fit-elle d’une petite voix qui lui rappela avec irritation l’attitude sempiternellement coupable de Lueur d’Obscurité -et ses mots déclenchèrent un frisson glacé le long de l’échine de la guerrière.

Étoile Acharnée, Étoile du Phoenix, Étoile Polaire et l’autre chat gris tacheté d’un peu plus tôt s’avancèrent alors jusqu’au niveau de Berceuse des Étoiles. Chacun d’entre eux arborait une expression sentencieuse et Rivière d’Argile sentit comme un étau se resserrer autour d’elle. Alors… c’est ainsi que son règne finirait ? Avant même d’avoir commencé ? Aurait-elle dû courber l’échine et promettre plutôt que de se rebiffer ? D’où lui était venue cet esprit de contradiction ? La voix de Pétale d’Azalée lui avait soufflé sa résistance à la promesse, mais qu’aurait-elle fait, la Boule qui était venue jusqu’à la Cénote aux Étoiles, avant que toute la cérémonie ne commence, avant que sa mère défunte ne lui offre une vie si… ambiguë ? Aurait-elle promit ? Aurait-elle su réveiller le filon de réactance qui sommeillait peut-être déjà en elle, quelque part ?

Rivière d’Argile, commença Étoile Acharnée en soutenant son regard mais avec une expression que la féline ne parvenait plus à déchiffrer. Le Clan des Étoiles avait prévu l’éventualité que tu contestes un jour son autorité. Cela ne m’appartient pas mais une décision avait été prise pour palier à cette éventualité si elle se présentait.
- Il faut croire que la fille de Golem Polaire ne pouvait pas retenir plus longtemps son héritage, marmonna le matou tacheté.
- Étoile du Grand-Bleu, s’il te plais, le sermonna Étoile du Phoenix en fronçant les sourcils. Rivière d’Argile, ajouta-t-il ensuite à son intention, le Clan des Étoiles n’a pas l’habitude des demi-mesures mais nous sommes prêts et prêtes à te donner la chance que nous avons placée en toi avec 8 vies en espérant qu’elles sauront mieux te guider que n’importe quelle autre. Mais par mesure de précaution, puisque tu as refusé de promettre, il a été décidé que tu serais stérile pour ne pas perpétuer la lignée maudite d’Étoile du Golem.
- Quoi ?!

Son cri lui déchira la gorge mais ne changea rien. Étoile du Phoenix continuait dans la plus implacable solennité :

Le Clan des Étoiles te reconnais comme la nouvelle meneuse du Clan de la Nuit. A partir de maintenant, tu seras connue sous le nom d’Étoile d’Argile. Puisses-tu guider ton Clan pour de nombreuses et prospères lunes.

Les ancêtres de jadis reprirent son nom pour le scander alors que, sous leurs yeux, se décomposait le visage de celle qu’iels venaient d’admettre. Comment osaient-iels lui ôter sa fertilité ? Comment… comment avaient-iels ce pouvoir ? Et qui étaient-iels, celleux qui avaient décidé d’une sentence aussi ignobles ? Sa vision se brouilla et Boule secoua la tête pour essayer de chasser les larmes de rage qui pointaient dans ses yeux mais cela ne changea rien et aucune goutte ne coula -non, elle n’était pas en train de pleurer, c’était la lande du Clan des Étoiles qui commençait à s’estomper. Elle se réveillait. Croisant le regard d’Étoile Acharnée, elle l’implora des yeux, tentant de déceler du soutien dans l’océan pourpre de l’âme de son mentor.

Étoile Acharnée, tu sais très bien que je ferai de mon mieux… pourquoi ?

Avant que le noir n’obscurcisse complètement sa vision, il lui sembla apercevoir, sur le visage de son ancien chef, un regret sans nom qu’elle ne sut attribuer.
Puis les limbes l’enveloppèrent complètement et Boule sombra.



*       *  
*


Elle se réveilla au bord de l’eau qui lui léchait le bout des coussinets. Tout son corps était transi de froid. A ses côtés, Égide Sacrée avait le visage creusé d’inquiétude et de fatigue : elle était assise tout près de sa meneuse et inspira de soulagement en la voyant rouvrir les yeux. Dans la semi-conscience du réveil, Boule se souvint de l’agitation qui l’avait parcourue en se retrouvant dans la Forêt Sombre ; elle avait dû remuer anormalement dans son sommeil et inquiéter la guérisseuse. Depuis combien de temps veillait-elle ?

Rivière d’Argile, tout va bien ? S’enquit-elle justement d’une voix où son stress était perceptible.
- Je… Aide-moi à me relever s’il te plaît.

La chatte écaille-de-tortue s’exécuta immédiatement et plaça une patte sous l’épaule de la guerrière, glissant jusqu’à ce que leurs épaules se touchent, puis l’aida à se redresser. Tout mon corps est ankylosé…

Ai-je dormi longtemps ? Demanda-t-elle sans répondre encore à la question précédente.
- Plus que ne le font d’habitude les chefs lors de leurs baptêmes, admit Égide Sacrée en détournant le regard. Est-ce que tout s’est bien passé ? Tu as failli te réveiller, je crois.
- C’était plus intense que je ne l’aurais cru, répondit Boule en omettant d’avouer la raison de cette intensité. Mais j’ai bien reçu 9 vies et mon nom de cheffe : Étoile d’Argile. Maintenant, est-ce qu’il te resterait des herbes fortifiantes pour le voyage retour ? J’aimerais rentrer tout de suite.

J’ai besoin de m’éloigner d’ici. D’évacuer ce qu’il s’est passé. De réfléchir. Et d’être seule.

Ainsi, les deux chattes reprirent le chemin du camp, laissant derrière elles le rugissement de la mer et accompagnées longtemps par l’écho des vagues fracassées dans la nuit sur les pieds des falaises. Le silence des bois fut salvateur pour l’esprit de Boule qui put se remettre à penser en commençant par faire abstraction du baptême et décider du choix du lieutenant qui serait annoncé dès son retour.



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Moi j'adore la race humaine avec du sel et du mezcal - Et sans mentir timal j'suis sentimental -
Brutal en sortie mentale - L'irréel me manie mal - Apparu un jour d'hiver - Voici l'homme-animal

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