⟡ Monts et Merveilles ⟡
& Feuille d'Orage

Le ciel s'était assombri plus tôt dans la matinée, et ses grossiers nuages noirs ne semblaient vouloir déverser leur haine sur nous. Ils se déplaçaient lentement - sans doute trop chargés pour le souffle du vent pourtant puissant - et leurs nuances sombres n'évoquaient rien de bon. Bien qu'effrayé à l'idée qu'un orge me tombe sur la tête, j'avais promis à quelques camarades de ramener quelques proies ; j'avais pris du retard dans mon entraînement et il était de mon devoir de prouver ma place en tant que guerrier. Je soupirais ; bien qu'ayant attrapé une grive et une musaraigne, je regrettais de ne pas être aussi doué que certains de mes camarades.

Je guettais une seconde musaraigne. Cachée entre les plis de la roche, elle fouinait ; son petit museau s'agitait en tout sens contre la pierre grise et humide, sans se douter du prédateur qui l'observait. En position, j'avançais prudemment. L'eau tumultueuse qui s'écoulait en bas ne me rassurait pas : si je glissais, s'en était fini de moi. Le courant était fort, et de nombreuses pierres crochues se trouvaient dans la rivière. Je pouvais voir d'ici là leur crocs acérés.

Alors que j'allais bondir - la queue bien haute, le menton relevé et les yeux braqués vers ma proie -, une forme féline apparut dans le coin de mon champ de vision. Tournant vivement la tête, mon regard croisa celui de Feuille d'Orage. J'avais déjà vu ce matou : Zénithien, au pelage caractéristique, il m'avait été rapidement présenté lors d'une assemblée. Je me souvenais de lui ; d'une part car son poil contenait de petites tâches blanches peu communes - on m'avait dit qu'elles s'agrandissaient ! -, d'autre part car il y avait dans son regard des nuances semblables à celles qui me menaçaient le crâne aujourd'hui-même. « Euh... »

Je sursautais violemment au coup de tonnerre qui vint ébranler la terre. Glissant sur la roche, je me retrouvais avec une patte dans le vide, que je ramenais sans tarder, le cœur battant. Près de moi, la musaraigne avait disparu ; elle s'était sans doute glissée dans l'une des minuscules faille, m'empêchant de l'attraper. Un peu plus loin, du côté de mon territoire, une branche calcinée s'était détachée de son arbre pour chuter dans la rivière dans un craquement sonore presque aussi terrifiant que celui de l'éclair qui l'avait précédé. J'étais terrifié, absolument paralysé. Je me tournais vers Feuille d'Orage, m'attendant à voir un félin calme voire railleur. J'étais connu pour être un trouillard, un couard dans mon propre clan, et je me doutais que l'apprenti Zénithien en tirerait les mêmes conclusions sur moi.

Mais il avait disparu. Baissant mes yeux écarquillés, je ne voyais désormais plus qu'une tâche sombre dans le tumulte des eaux en contrebas.