Ce petit corps fragile et famélique, cette chair dépourvue de substance… c’était comme si elle pouvait palper le sang crépusculien qui se mêlait au sien, teintant sa fourrure grise de reflets brunâtres. Un spasme de dégoût traversa la mâchoire de Nuée Ardente, semblant longer la fissure rousse qui zébrait son visage, alors que ces yeux – ces yeux sans couleurs, pâles comme la lumière d’un soleil embrumé – croisèrent brièvement les siens. Avant de s’en détourner, aussi rapidement qu’une souris fuyant à ses pattes. Lâche. Trouillard. Mauviette. Comment ses propres entrailles avaient pu engendrer ce tas difforme, ratatiné sur lui-même ? À côté de lui, Nuage Immortel se tenait fièrement, sa silhouette fine et élégante lançant une ombre sur lui, le transperçant comme une lame. Son regard de métal transpirait de dureté et de violence. Elle n’en ferait qu’une bouchée de cette demi-portion qui haletait comme un renard blessé.
La chaleur était étouffante ce jour-là, et même l’ombre des arbres ne faisait que poser un poids supplémentaire sur leur dos, empêchant le moindre courant d’air de les atteindre. Le moindre effort était un calvaire. Cependant, le regard demeurait aussi froid qu’impitoyable, s’ancrant si fort sur le front de Nuage d’Araignée, qu’elle aurait pu y planter une lame de glace.
Pourquoi l’as-tu laissé vivre, lui ?, susurra une voix à son oreille, résonnant des abîmes du royaume des morts. Battant l’air d’un coup vif de la queue, Basalte serra les crocs, tentant vainement de ravaler toute la haine qu’elle éprouvait pour cet être vivant. Elle n’avait qu’elle-même à blâmer pour sa survie, qu’elle-même à blâmer pour son existence même. Son regard aigue-marine glissa un instant le long des rayures noires qui parcouraient ce pelage gris-brun, ses souvenirs lui jouant des tours en y superposant d’anciens motifs depuis longtemps oubliés. Ils refaisaient surface sous sa peau comme des bulles de geyser remontant depuis ses entrailles sans ne jamais éclater, s’accumulant dans sa poitrine tel un foyer infesté de pus. Il était comme la pâle image de sa mère, Silex, une ombre, un monstre chétif qui n’aurait jamais dû voir le monde tant il était ridicule. Et pour ça, elle le haïrait à jamais, sans jamais parvenir à l’oublier.

« Voyons de quoi est fait le futur Clan de la Nuit. Échauffement aux sauts. Je veux voir vingt aller-retour jusqu’à ce rocher là-haut. Tous les coups sont permis pour être le premier à terminer. Le vainqueur ne gagne rien sauf un brin de considération de ma part. », tonna Basalte, sa voix cassée claquant sèchement entre ses crocs.

Sa queue pointa alors un grand rocher posté une bonne quinzaine de bonds plus haut, au bord des rives abruptes et glissantes du ruisseau acrobate.