
Kiko est une petite femelle fine et rapide. Son pelage ne sort guère du lot. Noire tachetée tanto de crème tanto de brun, elle est faite pour se fondre dans la nuit, dans les espaces les plus exigus, pour prendre ses proies au piège dans n'importe quelle situation. Elle n'a pas appris à prendre soin d'elle et se retrouve facilement pleine de boue ou de poussière, qu'elle ne nettoie que lorsque cela est nécessaire. De toute façon, la boue l'aide à camoufler son odeur. Son père ne cessait de lui répéter. Il valait mieux sentir la fumée des monstres des bipèdes plutôt que la Horde. Les ennemis auraient plus de mal à la traquer. Elle ne fait que suivre son conseil.

Son regard, lui, sort du lot. D'un noisette intense, il se distingue dans l'obscurité comme deux lunes brunes, deux cercles envoûtants et pourtant durs de froid.

Quelle tristesse que d’assister à la destruction de tout un être, de toutes ses origines et de son avenir. Kiko est loyal et obéit aux ordres, car c’est ce qu’il lui a été inculqué. En dehors du respect de son meneur et du succès de ses missions, rien ne compte. Elle n’a pas grandi entourée de parents aimants, elle n’a pas grandi dans l’amour des siens, la bienveillance et le respect. Kiko n’a connu que la rudesse d’un père à moitié absent, à jamais insatisfait, qui ne cessait de la rabaissait, de dévoiler sa faiblesse à tous. Etait-ce volontaire ? Pour l’endurcir ? Elle ne le sait pas, au fond, elle n’en a rien à faire. Elle obéit, et cela prime sur elle, sur lui, sur tout ceux qui l’entourent.

Car Kiko n’a jamais appris à aimer. Tout comme elle ne s’est jamais sentie aimée. A quoi bon ? Quelle utilité ? Elle est un instrument, un outil, se faire des amis et une famille n’est pas nécessaire.
Kiko n’espère pas grand-chose de la vie, du moins n’espérait-elle pas grand-chose de celle qu’elle vivait dans sa horde. Obéir, réussir et vaincre était son mantra, auquel elle n’aurait jamais cru un jour pouvoir se débarrasser. Elle n’aurait jamais cru pouvoir combler cette coquille vide qu’elle était.

Et pourtant, elle est là, dans un clan. Entourés de félins inconnus qui cherchent à lui parler. Pour quoi faire ? Elle n’est pas leur compagne de route. Ils n’étaient que des inconnus d’un monde différent, elle ne devrait même pas leur parler. Etait-ce une trahison ? Que dirait son père ? Allait-il la venir la chercher et la tuer pour avoir quitté la horde ?

Kiko a peur, elle a peur de ce que lui ferait subir la horde en la retrouvant. Elle a peur de l’avoir trahi, car personne ne lui a jamais interdit de rejoindre les clans. Personne ne lui a expressément stipulé que c’était mal. En dehors de ces règles et de ces ordres, cette petite a en réalité peur du monde, peur de ce qu’il pourrait lui faire. Elle préférerait ne pas avoir à décider toute seule, elle préférait être sûre et certaine de la légalité de ces actes. Elle déteste ne pas savoir si sa présence dans les clans est bien ou mal. Elle se déteste pour cela, et elle les déteste également.

Alors Kiko se tait. Elle reste méfiante, elle sursaute au moindre bruissement. Etait-ce son père dans l’ombre d’un buisson ? Elle n’en est pas sûre. Il est capable de venir et elle en est terrifiée.

Pourtant, elle essaye de rester loyale à la Horde, que mais faire quand tout ce qu’on lui offre paraît plus plaisant, plus facile ? N’est-ce pas refuser cette simple vie pour rejoindre les siens, qu’est la loyauté ? Kiko est prête à tout. A se sacrifier, à s’épuiser, à traverser terres et mers pour sa loyauté. Mais qui doit-elle suivre ? Tout était plus simple lorsqu’elle était égorgeuse. Oui, tout était tellement plus simple lorsqu’elle n’avait qu’à obéir. Maintenant qu’elle est livrée à elle-même, emprisonnée dans sa tête, ses pattes titubent.

Oublier son ancienne vie ? Devenir quelqu’un d’autre ? Mais quoi ? L’ombre de Bioccops plane, elle le voit partout. Quoi croire ? Qui suivre ? Pour l’instant, elle essaye de se faire confiance, mais ce n’est pas toujours sa simple lorsque sa propre voix ne cesse de lui rappeler qu’elle ne mérite guère cette estime.

Est-elle faible ? Forte ? Physiquement, nul doute qu'elle sait se battre, qu'elle se bat comme une hyène. Mais psychologiquement, où est-elle ? Il vaut mieux ne pas se poser la question. La réponse pourrait se révéler effrayante.