Élancées sur un carrousel dérangé, ses émotions se choquaient et s'entrechoquaient dans son esprit craintif, partagées entre tristesse et honte, Léopard ne savait plus où se mettre. Elle avait fixé les amas de grains de sable, qui s'offraient finalement en une infinité sur les plages, dans l'espoirs de masquer les perles transparentes qui coulaient sur ses joues, mais ses deux interlocutrices n'avaient pas eu de mal à percer son mystère. Elle aurait aimé tout leur raconter, mais comment expliquer que son esprit, encore, s'envolait vers les montagnes abruptes de ceux qu'elle avait déserté ? Elles la savaient soeur de Nuage Rusé, mais avaient-elles idée qu'un duo parfaitement opposé enflammait sa haine de l'autre côté de la frontière ? Nuage Tacheté avait longtemps songé à les récupérer, elle aurait pu faire une brève entorse au code, supplier Louve et Tigre de les rejoindre là où la vie était plus douce et simple, elle aurait pu, oui. Mais si le gouffre s'était creusé, elle n'en connaissait pas moins ceux qu'elle aimait, ils auraient préféré mourir que de fuir.

Ses yeux d'or, rayons de soleil liquide et nectar du beau temps, offrirent leur secret déjà dévoilé. Si les larmes avaient arrêté de couler, les poils de son visage étaient toujours collés et dérangés sur le chemin qu'elles avaient emprunté. Pelage de Noisette et la dite Rivière Écarlate la regardaient les prunelles emplies de peine, elle détestait faire cet effet là aux gens mais il n'en existait pas d'autre. Léopard avait rapidement compris qu'elle ne serait jamais de ces femelles qu'on regarde avec envie sensuelle, pas plus que ces guerrières belliqueuses qu'on admirait, mais pas non plus comme les lunatiques qu'on laissait se perdre dans un coin du camp. Elle, ça serait le chagrin et l'affliction, l'impuissance de ramasser les morceaux de ce petit chat brisé. Elle poussa un petit soupir, presque inaudible.

- Non, je pensais à ma famille, murmura-t-elle.

Elle regretta instantanément ces mots qui venaient faire contradiction avec les pensées qu'elle avait eu quelques secondes auparavant. Si les guerrières choisissaient d'en parler, qu'elles étaient des commères ou des vipères avares de son mauvais sort, la petite pourrait être chassée du clan de l'aube. Et si elle était portée à l'exil, jamais son ancien clan ne l'accueillerait à nouveau dans ses rangs, Renard ne pourrait sûrement pas la suivre non plus, il n'aurait jamais le courage d'aller vivre comme un solitaire ou l'envie de se nourrir lui-même. Qu'elle était bête. Elle retint son souffle, espérant qu'elles n'étaient pas comme son imagination les dépeignait.

Non, elle n'allait clairement pas bien. Nuage de Terre n'était pas très réputé pour sa gentillesse et sa bienveillance à toute épreuves, mais elle pouvait quand même lire dans le regard de son amie que quelque chose clochait. Etais-ce la mort de Soleil Etincelant et Marée Tempétueux ? Elle n'eut pas besoins de demander, Nuage de Plume avait répondu à sa place. La féline soupira, baissant la tête. Elle n'était pas doué pour ça, elle était incapable de trouver les bons mots.

-Pourquoi tu voulais venir dans l'Aube, Nuage de Plume ?

Nuage de Terre fut légèrement surprise par la réponse de la féline, elle ne s'était pas attendu à ce genre de raison.

-Si tu étais resté dans le Zénith, alors tu serai resté un simple chaton débile, sans évolution, sans vie. Miaula-t-elle avec une certaine fermeté. Ici, tu peux devenir quelqu'un.

Nuage de Terre hocha alors la tête et se redressa, prête pour l'entrainement, légèrement rassuré par le fait que son amie se reprenait en patte.

(Fin)

Un léger frisson parcourut l'échine de Nuage Tacheté tandis que la dite Rivière Éclatante s'assit à ses côtés. Elle sentit l'extrémité de leurs poils se frôler, s'emmêler et se frotter, et la chaleur de son corps, le sang qui coulait sous sa peau, le battement de son coeur dans son torse. Il y a bien longtemps qu'elle n'avait pas eu un contact autre que celui de son frère, Nuage Rusé, ou son mentor lors des entrainements de combat. La douceur qu'elle ressentit à ce moment là lui rappela sa mère, dont le souvenir s'effaçait un peu plus chaque jour. À ses premières paroles, elle se mordit la langue pour empêcher les larmes de redoubler, aux secondes, elle ne put les retenir. La femelle avait tapé dans le mille. Pas un jour ne passait sans que la jeune Léopard ne regrette la Louve et le Tigre, et bien des jours passeraient avant qu'elle ne les revoit, combien encore avant qu'ils ne la pardonnent ? Renard semblait s'être rendu à l'évidence, ne pas ressentir cette douleur infinie dans son coeur, mais elle n'y arrivait pas, l'amour refusait de s'en aller avec les souvenirs. Ici, dans ce clan qu'elle aimait pourtant tant, le frère et le soeur étaient seuls au monde, et ses pleurs semblaient ceux d'un traitre.

Les mots de Pelage de Noisette mirent un peu de baume sur son petit coeur fragile. Elle se souvenait de sa gentillesse alors qu'ils n'étaient que deux petits chatons qu'elle avait trouvé par hasard sur la frontière. Finalement, elle releva ses yeux aurifères encore humides de douleur. Elle adressa un petit sourire à cette jolie chatte qui semblait tombée du ciel pour la sauver, et se pressa un peu plus contre la seconde, espérant cependant ne pas l'importuner. L'apprentie renifla bruyamment, avant de prendre grande inspiration pour se calmer, et réussir à dire ces mots :

- Vous pensez que... qu'Étoile d'Or voudra bien que j'aille à l'assemblée avec Re... Nuage Rusé, pour qu'on les voit ?

Elle regretta vite. Elle savait pertinemment que toutes les relations interclans étaient interdites, même si elles étaient fraternelles.