Le meneur et la guerrière s'étaient mis d'accord pour faire la visite du territoire tous ensemble. Et, cela rassurant quelque peu le vétéran qui ne savait pas réellement à quoi s'attendre avec ces deux nouveaux apprentis. Les deux jeunes avançaient tel un seul chat, presque collé l'un à l'autre, Nuage des Abîmes n'avait même pas l'air de percevoir les changements de paysages et de lieu, son unique oeil était fixé sur l'horizon et ses pas étaient tremblants. Ca allait surement être compliqué.
Finissant par s'arrêter dans un commun accord avec Fleur de Myrtille, il s'assit en face des deux matous.

-Alors, ici, nous sommes à la terre brisée. C'est un endroit plutôt riche en proie et en... Nuage des Abîmes !

L'apprenti cendre avait alors continué sa route, sans même remarqué l'arrêt des autres.

Elle avait bondit devant devant lui comme ça, sans qu'il s'en rende compte. Il savait bien que Nuage Impie était là, il l'avait sentit tout le trajet, et puis, il était toujours là d'uen certaine manière, mais ces deux là, il les découvrait. Un peu comme si c'était la première fois qu'il les voyait. C'était surement le cas. Rejoignant alors Nuage Impie sous l'ordre de la grande au pelage noir, il hocha les épaules.

-Elle.

Miaula-t-il en pointant de la patte sa mentore comme réponse à la question de son ami. Avant de tourner le regard vers le matou gris qui faisait des grands yeux.

Etoile de l'Aube, observa sans réellement comprendre, son regard allant des deux apprentis à Fleur de Myrtille. Là, c'était clair, il ne comprenait absolument rien. Soupirant, il essaya de se reprendre.

-On visite le territoire là, il est très important que vous les reteniez, sinon vous allez vous perdre, alors soyez attentif.

Sa vie ressemblait actuellement à un orage. A l'instar des orages, tout avait été parfait, avant une brusque dégradation. Avant que le vent ne se mette à souffler, comme un avertissement de ce qui allait suivre. Puis, la pluie violente, les éclairs foudroyant le ciel, l'obscurité profonde. Et à présent, il était dans cette même obscurité.

Rapace des Monts courait derrière ce lapin, Soleil du Matin à ses côtés. Il ne sentait que le vent sur son pelage, alors qu'il essayait de ne plus rien ressentir. Son fils était mort, son corps sans vie avait été enterré par Aube Filante et les autres anciens. Rapace des Monts et Fleur de Myrtille l'ont pleuré toute la nuit, avec Nuage d'un Soir. Sa fille, d'ailleurs, était alité chez Fleur d'Argent. Jamais elle ne réaliserait son rêve.

Il ne sentait même plus sa patte manquante, alors qu'il martelait le sol de ses trois pattes restantes. Normalement, il n'arrivait pas à courser un lapin, mais ce jour là, il en voulait à la terre entière, et alors qu'il courait plus vite qu'il ne l'avait jamais fait, le vent fouettant sa fourrure l'aidait à ne plus rien ressentir d'autre. C'est lui qui avait dû annoncer les terribles nouvelles à sa fille. Son expression resterait à jamais gravée dans son esprit.

Le lapin bifurqua soudain, mais Rapace des Monts continua à courir droit devant lui. Soleil du Matin lui hurla quelque chose, mais le matou gris et blanc n'entendait plus que le sifflement du vent. Les nuages noirs d'orage grondèrent, alors que le matou hurla à son tour toute sa rage, sa colère, sa tristesse.

C'est ainsi qu'il ne vit pas la terre s'ouvrir devant lui. Quand il s'en aperçut, ce fut trop tard. Les terres brisées portaient trop bien leur nom. Il chuta dans le trou béant, et emporté par son élan, plongea la tête la première. Cette instant de légèreté lui rappela étrangement ce moment où le rapace l'avait relâché. Le choc fut brutal, sa tête frappant un rocher.

Soleil du Matin accourut au fond de la faille. Rapace des Monts gisait inconscient, un filet de sang s'échappait de ses oreilles et de son museau. Son frère le secoua, fou de chagrin et d'inquiétude. Finalement, Rapace des Monts ouvrit doucement les yeux. Il mit un certain temps à réaliser ce qu'il venait de se passer. Et surtout, il mit un temps encore plus long à réaliser ce que serait sa vie désormais. Même avec les yeux ouverts, il ne voyait plus qu'une masse informe de nuages d'orage.