Une tache d’encre échouée sur les rochers. Son thorax s’élève faiblement, au rythme du va-et-vient de son diaphragme, comme bercé par le grondement lent des vagues s’écrasant sur la pierre. Sur son poil dégouline un torrent de pluie, dans ses oreilles les rafales se déchaînent. C’est ainsi que l’on découvrit Marée Noire. Jeune chaton frigorifié, se battant contre l’eau, pour la vie, pour échauffer le sang coulant dans ses artères.
Elle avait tout l’air d’un être condamné. Lui épargnant des nuits d’agonie, l’on aurait pu penser l’achever à cet instant même, mais quelque chose dut l’en dissuader. La hargne qui se dégageait de chaque bouffée d’air, de chaque frémissement de son petit corps frêle, peut-être.
Le nuage de coton noir dévoila d’ailleurs rapidement des prunelles violettes, allant d’un pâle et froid gris de lin à la couleur douce de glycine et de lavande jusqu’à l’éclat cristallin d’une améthyste ou d’une fluorite. Son duvet mi-long soyeux laissa place à une fourrure courte, légèrement rêche au toucher, d’un noir profond, parsemé ça et là de rayures et mouchetures légèrement plus claires s’enroulant les unes dans les autres comme les tourbillons de l’océan. Une silhouette élancée, bien sculptée, aux muscles secs soulevant une ossature robuste posée sur un quatuor de pattes massives. Un physique fait pour la nage.
Marée transpire l’océan, le sable doré collant à sa fourrure de jais comme des cristaux d’ambre, le parfum iodé accroché à sa peau, indélébile. Depuis sa plus tendre enfance, la féline se retrouva attirée par cette eau tumultueuse, qu’elle semble vouloir à tout prix apprivoiser. Cette mer qui manqua de l’engloutir, avalant au passage son passé, son histoire, ses origines.
Semblable à cette étendue aux profondeurs inconnues, Marée Noire s’enrobe également de mystère. Ne parlant que peu, et jamais d’elle-même, elle se contente le plus souvent de regards incisifs, difficilement sondables. Comme enrobés d’un mur d’eau infranchissable, la féline ne donne que difficilement accès à ses émotions. De contact distant, elle s’investit cependant corps et âme dans la vie de la tribu, faisant parfois preuve d’une exigence excessive envers elle-même.

◆   L a   T e m p ê t e   d a n s   l e s   P r o f o n d e u r s   ◆

Derrière cette volonté insatiable à faire ses preuves, Marée Noire cache cependant un manque tout autant inassouvissable, qu’elle cherche à combler par tout moyen. Ce besoin d’appartenir, une solitude qui fait tumulte dans les tréfonds de son âme. Toujours, et éternellement, perdue dans les ressacs de son enfance, tout sens arraché par le grondement de l’océan dans ses oreilles. Incapable de créer de lien avec ses pairs, la féline brûle malgré tout à la recherche de ce rêve d’affection, à la recherche de ce lien avec autrui, de complicité, de tendresse, de passion. Sans repos.
De premier abord calme et froide, Marée Noire développe au fil du temps une attirance pour les aventures amoureuses, prenant plaisir à séduire et se laisser momentanément entraîner par autrui, ces relations la laissant pourtant inlassablement insatisfaite. Déception sur déception, mensonge sur mensonge, secret sur secret, le gouffre ne fait qu’engloutir ses nombreuses impostures, gonflant encore et encore au sein de sa poitrine. Sa loyauté entachée, son honnêteté corrompue plus les vagues tournent, ses pattes s’emmêlant dans leur propre filet.