M A R E E

Autour d’elle, était l’eau.
Tombant des cieux,
Grondant dans ses oreilles,
Montant des profondeurs,
Et débordant dans sa gorge.
L’eau noire, qui envahissait, écrasait, submergeait. Tandis qu’elle, elle se cramponnait. Ses pattes vissées à une rondelle de bois, son petit corps secoué par les tremblements, ses yeux grands ouverts sur l’obscurité, malgré la pluie qui les aveuglaient. Les vagues se fracassaient contre elle, faisant chavirer son radeau, tandis qu’elle se cramponnait. Ses larmes de peur se mêlaient au déluge, les haut-le-cœur faisaient tressaillir les traits de son regard. Et à chaque craquèlement de métal contre bois, à chaque éclat de lumière brûlante se heurtant sur ses pupilles, elle retenait ses cris contre ses cordes vocales. Là-bas, sur l’océan sombre, au-delà des vagues qui venaient obstruer l’horizon comme des montagnes mouvantes, des flammes dévoraient la coque de son navire à moitié englouti par la mer, faisant grincer et crépiter l’océan, tel un monstre entre feu et eau.
Rongée par un instinct des plus primaires, la chatonne fit crisser ses griffes sur les rainures du bois, cherchant tant bien que mal à se hisser sur la planche flottante. Mais les forces qui se projetaient contre elle, s’abattant en cascade sur sa tête et tirant sur ses muscles, faisaient glisser ses pattes vers cet animal furieux qui manquait de l’engloutir. Toussotant et haletant, elle cria. Miaulant pour son frère, pour les bipèdes, pour l’océan. Qu’on la laisse vivre. Hurlant dans l’espoir d’éloigner la mort, sans trop pourtant savoir qui ou ce qu’elle était.
Ses pattes arrière, battant frénétiquement l’eau, la portaient peu à peu au loin, quand tout son corps se retrouva propulsé par une vague. Elle se sentit rouler sous l’eau, ses griffes arrachées de leur ancre, alors qu’elle se faisait happer par les tumultes. Crachant l’air de ses poumons de toutes ses forces, le son de sa voix étouffé par le mur de flots, elle se mit vigoureusement à frapper des pattes, chaque fibre de son corps cherchant l’air, l’oxygène, la terre. Sa tête surgit un instant, mais ce fut le goût de sel qui s’écoula dans sa trachée, brûlant et épineux. Un gémissement s’échappa du chaton, mais, luttant de toute sa puissance, elle tenta tant bien que mal de forcer les éléments sous ses griffes. De tendre son cou et son museau vers le ciel, de s’efforcer à avancer malgré les ténèbres et la pluie.
Un éclair blanc flottant entre deux vagues parvint à ses prunelles, et elle comprit. Son frère était là. Et pourtant, cette pensée ne lui fit ni chaud ni froid. Elle ne pouvait l’aider. Et lui ne pourrait l’aider. Elle ne pouvait que garder la tête hors de l’eau. Qu’il meure ou vive.
Comme une corde craquant sous la tension dans un son strident, elle se tourna à nouveau vers le grand noir. Tout autour d’elle s’effaça, se fondant dans cette encre couleur nuit, les sons broyés dans le roulement des vagues. Il n’y avait qu’elle, la fatigue dans ses pattes, son diaphragme aspirant l’air et le relâchant, le sel coulant dans son œsophage, et cette étendue vers l’infini. Mais peu importait. Si l’éternité se résumait à ça, elle continuerait tout de même à respirer. Inspirer, expirer. Inspirer, expirer.
Ses paupières se faisaient lourdes. Son esprit se troublait. Les vaguelettes venaient s’échouer sur son museau de plus en plus régulièrement, et sa tête s’enfonçait toujours un peu plus dans la mer. Et pourtant, comme un moteur tournant dans le vide, ses pattes tournoyaient toujours sous elles. Jusqu’à-ce qu’un voile ne s’abatte sur sa vision, l’extirpant finalement de sa conscience.
Ce fut la marée, cependant, qui vint déposer un petit corps noir ainsi qu’un autre, un peu plus loin, de blanc et de noir contre ses rochers. La terre les avait rappelés à ses côtes.