C'était à se demander pourquoi Chevêchette des Rocheuses acceptait encore d'accompagner Boule chaque fois que celle-ci débarquait de la manière la plus impromptue qui soit, le pelage souvent ébouriffé et les yeux grands ouverts, pour lui demander de la suivre dehors. Boule avait conscience que même si dans l'intimité de son antre en contrebas de la Corniche, abritée des regards en hauteur sur les pierres et masquée davantage encore par le tronc de l'arbuste emblématique, leur lien se développait dans une complexité qu'elle avait cessé de chercher à nommer -et acceptant entièrement l'attirance que générait Chevêchette des Rocheuses en elle dès qu'elle était dans les parages-, leur entente en dehors de ces moments privilégiés était sans cesse mise à l'épreuve par les décisions stratégiques prises par Etoile d'Argile en tant que meneuse. Pour elle, c'était sans réelle surprise : elle savait depuis toujours que leurs priorités et leurs valeurs ne correspondaient pas vraiment. Leur attraction mutuelle mise de côté et l'ébouriffement de leurs différences mis à part, quelle entente pouvait véritablement subsister entre elles ? Boule devenait ce que son amie abhorrait et manquait d'amusement, d'imprévisibilité dans sa politique.
Concentre-toi, Boule, se rabroua t-elle intérieurement en jetant un coup d'œil à sa camarade, silhouette brune silencieuse à ses côtés dans ces bois saupoudré de brume. C'est pour ça que t'es là.

"Je suis désolée, Chevêchette des Rocheuses, miaula t-elle en s'arrêtant soudain, le regard perdu dans l'horizon insondable entre les troncs. Je n'ai même plus le temps pour nos escapades en ce moment. Je te parlerai bien de ce qui m'inquiète mais c'est pas vraiment comme si l'avenir du Clan t'intéressait tant que ça. Et d'ailleurs, je ne sais même pas comment tu vas."

Ru des Abysses a écrit:

Chevêchette des Rocheuses était frustrée. Frustrée de la relation qu'entretenait Étoile d'Argile avec Esprit de Sacrifice. Frustrée de ce fossé persistant entre elles, d'abord personnifié en Étoile Acharnée, puis en Salamandre Enflammée, et désormais en le nouveau lieutenant. Frustrée de n'avoir pas su mener son apprenti au baptême en un quart de lune comme elle l'avait pensé en premier lieu. Frustrée de sa propre incapacité à s'épanouir, comme si le bonheur était en fait, tout compte fait, plus une chose qu'elle se refusait qu'une chose qui se refusait à elle. Si dans l'intimité de l'antre du chef, elle vivait une idylle dans une bulle utopique, hors du monde, du temps, et de tout ce qui l'avait toujours tendue, dès lors qu'elles en passaient le pas, toutes leurs oppositions revenaient au galop et leur rappelait comme ces moments à l'image de celui vécu à la Cénote, étaient des illusions, aussi beaux pouvaient-ils être. Qu'est-ce qui les liait au juste ? Elle aurait été bien incapable de le nommer, et si elle voulait parfois faire payer son amie de toujours pour son lien avec son lieutenant ou pour son conformisme, lors de ces rares moments passés ensemble, elle l'oubliait pour profiter, quitte à regretter au moment où, de nouveau, Étoile d'Argile la quittait.

- Donc quoi, tu es venue me trouver pour finalement me lâcher au milieu du territoire et retourner courir vers ton lieutenant ? Lâcha-t-elle, blessée par les paroles pourtant justes de la meneuse.

La réaction de la chatte brune ne surprirent pas la meneuse sur le fond tant que sur la forme ; si elle avait bien remarqué les regards assassins de son amie envers Esprit de Sacrifice et se doutait qu'elle avait compris le double jeu auquel jouait Etoile d'Argile, cette dernière esquissa un mouvement de recul face aux mots choisis par Chevêchette des Rocheuses. Courir vers lui ? Se répéta t-elle intérieurement en dévisageant son amante. Est-ce que c'est l'impression que je donne ?

"Cela serait si surréaliste que ça que je puisse vous apprécier pour des raisons différentes ? Mes nuits avec toi ne me donnent pas plus envie de le planter au beau milieu de nulle part que mes discussions ne me donnent envie de te planter là, articula lentement Boule en décidant de rester à distance respectable de Chevêchette des Rocheuses.

L'envie de rompre la distance entre elles pour enlacer le corps de sa camarade l'avait tentée au début, après ses premières paroles, pour souligner le manque qu'elle lui avait exprimé, mais la froideur et la colère de Chevêchette des Rocheuses refroidissaient cet élan avant même d'en avoir esquissé l'amorce -et ce n'était sans doute pas plus mal. Ca fait longtemps qu'il faut qu'on discute, de toute façon.

"Dis-moi Chevêchette, qu'est-ce que tu dirais que nous sommes ?" Miaula Boule en abandonnant, pour la première fois depuis longtemps, les apparences, délivrant une authentique question à laquelle elle espéra, le cœur battant, une authentique réponse.

S'entendre le dire et avoir l'impression de sentir le monde trembler sous ses pattes, menaçant de voler en éclat. Etait-ce une idée ou quelque chose venait d'alourdir ses épaules et d'emballer son cœur d'adrénaline ? Dis-le moi, ce que tu ne m'as jamais dit. Si tu as le courage de le nommer, alors j'aurai le courage de l'assumer.

Etoile d'Argile a écrit:

La réaction de la chatte brune ne surprirent pas la meneuse sur le fond tant que sur la forme ; si elle avait bien remarqué les regards assassins de son amie envers Esprit de Sacrifice et se doutait qu'elle avait compris le double jeu auquel jouait Etoile d'Argile, cette dernière esquissa un mouvement de recul face aux mots choisis par Chevêchette des Rocheuses. Courir vers lui ? Se répéta t-elle intérieurement en dévisageant son amante. Est-ce que c'est l'impression que je donne ?

"Cela serait si surréaliste que ça que je puisse vous apprécier pour des raisons différentes ? Mes nuits avec toi ne me donnent pas plus envie de le planter au beau milieu de nulle part que mes discussions ne me donnent envie de te planter là, articula lentement Boule en décidant de rester à distance respectable de Chevêchette des Rocheuses.

L'envie de rompre la distance entre elles pour enlacer le corps de sa camarade l'avait tentée au début, après ses premières paroles, pour souligner le manque qu'elle lui avait exprimé, mais la froideur et la colère de Chevêchette des Rocheuses refroidissaient cet élan avant même d'en avoir esquissé l'amorce -et ce n'était sans doute pas plus mal. Ca fait longtemps qu'il faut qu'on discute, de toute façon.

"Dis-moi Chevêchette, qu'est-ce que tu dirais que nous sommes ?" Miaula Boule en abandonnant, pour la première fois depuis longtemps, les apparences, délivrant une authentique question à laquelle elle espéra, le cœur battant, une authentique réponse.

S'entendre le dire et avoir l'impression de sentir le monde trembler sous ses pattes, menaçant de voler en éclat. Etait-ce une idée ou quelque chose venait d'alourdir ses épaules et d'emballer son cœur d'adrénaline ? Dis-le moi, ce que tu ne m'as jamais dit. Si tu as le courage de le nommer, alors j'aurai le courage de l'assumer.

Chevêchette des Rocheuses se vida de toute son énergie, comme une rivière trouée de laquelle l'eau se serait échappée par grandes vagues. En l'espace d'une répartie, toute sa colère s'était éteinte, son feu noyé sous la pluie qu'avait déversé Etoile d'Argile sur son brasier. La voir aussi vulnérable, tout à coup, fit fondre le cœur de la meneuse dont l'envie immédiate était d'aller l'entourer d'une queue réconfortante au-dessus de ses épaules et de loger sa tête brune contre les poils de son buste. Jamais quiconque au sein du Clan de la Nuit n'avait eu le luxe d'entendre et de percevoir Chevêchette des Rocheuses, l'hargneuse et rebelle fille d'Etoile Acharnée et Neige Sibylline, aussi misérable et sincère. Un privilège dont Boule réalisa qu'elle avait l'exclusivité grâce au lien jusqu'alors indescriptible que les deux guerrières entretenaient et, qu'à l'instant, Chevêchette des Rocheuses admît qu'elle nommait "amour".
Le sang dans les pattes de Boule ne fit pas un tour de plus : elle s'avança sur sa camarade, fondant leurs fourrures en une seule masse d'odeurs entremêlées, de poils se chevauchant, d'yeux se recoupant.

"Bien plus que tu ne le crois, Chevêchette des Rocheuses, murmura t-elle à l'oreille de son amie, fermant les yeux à demi en inhalant son parfum, tout près de sa nuque. Et bien différemment de lui. Tu représentes tout ce que je ne pourrai jamais me permettre d'être, tu es là depuis le début et tu as partagé la moitié de mes nuits. Comment peux-tu encore te comparer ?"

Si j'admets qu'Esprit de Sacrifice est un compagnon de façade, elle ne me comprendrait pas. Jamais elle ne serait du genre à se créer des apparences. Boule y avait déjà réfléchi plus d'une fois et ces questions lui paraissaient limpides : aussi intime qu'elle soit avec Chevêchette des Rocheuses, leurs différences s'appliquaient notamment dans ce domaine là. Prendre un compagnon pour asseoir pouvoir et légitimité, nommer un lieutenant sans histoire et sans surprise approuvé par le Clan en un clin d'œil, lui donner plusieurs apprenti.es pour l'aider à se légitimer et à prendre en valeur auprès de ses congénères, garder le contrôle... Tout ça, pour Chevêchette des Rocheuses, quel jeu ennuyant cela devait être. Comment le lui faire comprendre sans le lui dire ? Comment l'assurer de la sincérité de son intérêt quand Boule ne vivait, de l'autre côté, que d'apparences et de calculs ?

Comment veux-tu qu'elle cesse de se comparer, tête de mulot ?

Chevêchette des Rocheuses, toute ramollie qu'elle l'était pas le contact de Boule et par ses précédentes prises de parole, n'avait pas perdu tout son mordant. Continuant à encaisser la colère de son amie -et à en faire presque abstraction avec sa truffe au milieu de ses poils bruns- la jeune meneuse prit le temps de réfléchir à sa réponse. Elle n'était pas convaincue déjà par la question. Est-ce que je lui donne tant que ça ? J'ai plutôt l'impression de nourrir son affection de manière sporadique -juste ce qu'il fallait pour le rendre accro et dévoué, en soi. Nourrir ses illusions, lui donner des espoirs, y répondre de manière aléatoire pour qu'il ne puisse prédire la prochaine dose d'affection qu'il recevrait de sa douce et s'accroche à l'atteindre quand même. Est-ce que je joue de manière déséquilibrée, en ce moment ? Quel chagrin, tout de même, de n'avoir pas moyen de discuter de ces choses-là avec un esprit similaire au sien, qui aurait l'aptitude de calculer, de dompter les doutes, de considérer les émotions sans baser ses réponses dessus uniquement. Peut-être que j'aurais du faire de Nuage Illusoire ma confidente, après tout, songea distraitement l'esprit de la féline bicolore en repensant aux yeux attentifs de son apprentie, à ces yeux qui ne manquaient pas grand chose mais cette gueule qui ne s'aventurait pas trop à insister pour savoir ce qui se tramait dans la tête de sa mentore.

"Tu trouves ? Marmonna Etoile d'Argile en enfouissant de plus belle son museau entre l'épaule et la tête de Chevêchette des Rocheuses, frottant son front contre son cou, s'arrêtant à la base de son crâne. Peut-être que je lui ai trop donné dernièrement, je ne sais pas. Comment te donner plus dans ce cas ?"

Elle s'arrêta dans ses gestes, répétant mentalement ce qu'elle venait de prononcer tout haut, et s'écarta de sa camarade pour la dévisager avec intensité. Ne viens-tu pas de te dire que tu assumerais ce qu'elle miaulerait, si elle le miaulait ? La tança une petite voix intérieure. Accrochée au regard de Chevêchette des Rocheuses, Boule sentit ses pattes la démanger alors qu'elle rouvrait la gueule avec une hésitation, attendant, la refermant, la rouvrant... Et lâchant finalement dans un souffle :

"Voudrais-tu que je te déclare ma compagne ?"

Ru des Abysses a écrit:

Comment te donner plus dans ce cas ? Chacun des gestes qui suivirent ces paroles donnèrent à Chevêchette des Rocheuses la sensation que le temps s'était arrêté. Chaque instant durait une éternité, et ce regard intense dans lequel elle se plongeait semblait être tout ce qui restait de l'univers. Chacun des poils de son corps se dressait dans un frisson empli de désirs, d'attentes, de craintes, son cœur battait si fort que le monde tout entier l'entendait sûrement, son ventre s'échauffait répandant une douce mais oppressante chaleur jusqu'à enserrer sa gorge. Elle avait envie de plonger dans les poils d'Étoile d'Argile, de s'oublier contre son corps, de ne faire plus qu'une avec elle, de mettre fin à cette chute qui l'entraînerait aussi longtemps que son amie resterait silencieuse... Mais en cet instant elle ne pouvait que subir, et se retenir de considérer la sentence finalement lâchée dans un souffle comme l'apothéose. Était-ce une proposition ? Elle ne pouvait se laisser aller avant de le savoir.

- Le ferais-tu ?

Etait-il possible, en cet instant, d'augmenter plus haut la tension qui électrisait jusqu'aux souffles des deux chattes ? Etait-il possible que les choses soient plus intenses qu'elles ne l'étaient déjà ? Imaginer ce qu'il se passerait si la réponse était "oui" n'était pas concevable pour l'esprit d'Etoile d'Argile dont l'esprit nageait dans la mousse et dont le cœur paraissait au comble de l'explosion. Impossible : sa prochaine réponse devait être une chute, devait apporter un élément de bascule, devait expliquer ou permettre de se projeter ce que serait la suite de cette discussion. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser encore planer le doute, l'attente, la peine générés par cette situation. Chevêchette des Rocheuses n'était plus qu'un flux électrique en suspension, crépitant sur place, attendant de s'abattre en elle-même comme un filet de foudre fusant vers la terre. Il fallait qu'elles se déchargent toutes deux ou bien elles brûleraient du désir et de la frustration qu'elles étaient en train d'accumuler en se câlinant pour essayer de disperser les souffrances sentimentales de Chevêchette des Rocheuses.
La gueule sèche, la tête si proche de celle de son amie qu'elle ne savait plus distinguer clairement l'extrémité de ses moustaches, la jeune chatte bicolore resta la gueule entrouverte dans l'incertitude d'avoir déjà parlé ou non. Est-ce que ses pensées étaient audibles ? Est-ce qu'elle avait miaulé qu'elle en crevait d'envie, ne serait-ce que pour secouer les mœurs de ce Clan empêtré dans ses traditions ?

"Je crois que..."

Elle marqua une pause, infime -une éternité dans la perception de son esprit.

"... oui. Je veux que tu le deviennes."

La dernière syllabe sortit de sa gueule et le temps s'arrêta pour de bon.